FRANCE 5 – MARDI 16 MAI À 21 HEURES – DOCUMENTAIRE
Le diagnostic est alarmant. En une décennie, alors que la population française est passée de 63,4 millions à 68 millions d’habitants, le nombre de médecins généralistes s’est en même temps réduit, de 101 435 à 99 941 ; plus inquiétant, les généralistes travaillant exclusivement en cabinet (les « médecins de famille ») sont passés de 64 142 à 57 033 (selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) – les autres exerçant en milieu hospitalier, en salariat ou en exercice mixte.
Ces chiffres sont nécessaires, mais moins parlants que l’excellent reportage de Céline Martel, diffusé dans « Enquête de santé ». Elle a en effet suivi le quotidien d’une étudiante en dernière année et de trois généralistes, aux profils particulièrement emblématiques.
A Lederzeele, dans le Nord, Pierre Levisse, 69 ans, incarne ainsi le médecin de campagne à l’ancienne, joignable le jour, la nuit, le week-end. Dans leur petite maison, son épouse, Brigitte, assure les prises de rendez-vous, les tâches administratives et prépare les repas… avalés en vingt minutes par son mari avant de repartir en visites à domicile, jusqu’à 22 heures ou 23 heures.
Mais, après quarante ans ainsi, ébranlé par la mort d’un confrère, il s’est résolu à prendre sa retraite, malgré le sentiment insupportable d’abandonner ses 2 500 patients (deux fois la moyenne nationale !), faute de successeur. « Ce qui me taraude, c’est de passer pour un déserteur », dit-il des sanglots dans la voix. Il va alors décider de faire quelque chose d’admirable. Il s’en expliquera certainement lors du débat qui suit le film, puisqu’il en est l’un des six invités, avec notamment la docteure Dominique Bontoux.
Charge de travail
La vie de cette dernière peut paraître fatigante : résidant près de Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône), Mme Bontoux effectue 450 kilomètres en train pour exercer dans un désert médical comme salariée au centre de santé de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire). Elle trouve ce rythme beaucoup plus reposant que les vingt années passées avant en libéral – les situations décrites l’attestent – jusqu’à ce qu’elle tombe gravement malade. Pour combien de temps ? Filmée sur plusieurs mois, sa charge de travail ne va cesser d’augmenter.
A 29 ans, Camille Bac, en dernière année de médecine, n’a pas envie d’avoir la vie de ces aînés. Les images montrent ses questionnements durant ses six premiers mois de stage dans un cabinet de médecine générale près de Lyon – ville qu’elle n’imagine pas quitter, même brièvement, pour exercer dans un désert médical. Comme elle, les étudiants interrogés à la faculté de Lyon expriment leurs craintes : peur de s’installer, peur de travailler énormément… Le cabinet médical leur paraît plus rassurant que d’exercer seul.
A l’inverse, Benoît Gombert, 40 ans, assume seul une responsabilité maximale, en tant que généraliste de nuit pour SOS-Médecins, à Saint-Malo. Et cela lui plaît, dit-il, même si son activité nocturne l’oblige à des actes de médecine légale inattendus : auprès d’un noyé, sur la plage, ou à l’hôpital, pour constater un décès. Lui se sent utile et apprécie surtout de pouvoir récupérer chaque jour à la sortie de l’école son fils Maxime, 6 ans, atteint d’une maladie rare.
En quatre portraits, Céline Martel dépeint une évolution de la profession avec laquelle les malades vont devoir composer. En espérant qu’elle suscite des vocations.
Médecins de famille : soigner jusqu’à l’épuisement ?, de Céline Martel (Fr., 2023, 60 min), suivi d’un débat présenté par Marina Carrère d’Encausse.