Le centre de convalescence Te Tiare, fenêtre ouverte sur les problèmes de santé polynésiens

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Alfred Mahotu a perdu une jambe six mois plus tôt. Après une vie d’électricien à Tahiti, il était retourné sur son atoll natal, Takapoto, dans l’archipel des Tuamotu. A 66 ans, cet athlétique retraité appréciait la vie simple des îles, en particulier la pêche à la langouste. Mais il ne pêchera plus : alors qu’il conduisait sa Vespa, il a été percuté par un motard ivre. « Quand j’ai eu mon accident, l’infirmier m’a soigné au dispensaire et mon pied a gonflé le jour même, mais je n’ai été transporté vers Tahiti que quatre jours plus tard », regrette Alfred Mahotu, qui croit se souvenir d’une mauvaise météo, puis d’un avion occupé par une autre mission de secours aux Marquises, pour expliquer ces délais.

A son arrivée à l’hôpital de Tahiti, il est trop tard. « Ils ne m’ont pas enlevé la jambe tout de suite, j’avais mal, mais je ne pouvais rien faire », se rappelle-t-il. « J’ai été amputé quatre fois de la même jambe, petit bout par petit bout, tous les quinze jours », raconte-t-il sans se départir d’un franc sourire. Alfred Mahotu n’en veut à personne : « Le médecin, je l’ai traité de boucher, mais il a quand même bien fait son travail. Et l’infirmier qui m’a gardé quatre jours, il est venu s’excuser quand il a su qu’on m’avait coupé la jambe, alors ça va, c’est oublié. » Les autres patients approuvent, entre fatalisme et pardon chrétien.

« Et le motard, il a eu quoi ? Tu as porté plainte contre lui ? », interroge un voisin de table. « Il n’a rien eu et il est venu me voir pour me supplier de ne rien faire. Alors je n’ai rien fait, mais je lui ai dit : “Attention, ça sera pas pareil la prochaine fois”. » « Ah bon ? Tu penses qu’il va te foncer dedans une deuxième fois ? », plaisante son voisin.

Alfred Mahotu, amputé après un accident de la route, au centre de rééducation Te Tiare à Tahiti, en Polynésie française, le 26 juillet 2023.

Passé les premières semaines de sidération, les patients de Te Tiare (le nom de la fleur blanche emblématique de cette région d’outre-mer) s’installent dans une routine où l’humour et l’autodérision participent à panser les plaies. Situé à Tahiti, l’unique centre polynésien de rééducation en hospitalisation complète est aussi un lieu d’observation des problèmes spécifiques de santé du territoire et des difficultés d’accès aux soins de la population. En Polynésie, l’espérance de vie est inférieure de cinq ans à celle de la France métropolitaine.

La prothèse du genou, un grand classique

La quinquagénaire Vaimeho (les personnes dont seul le prénom apparaît ont requis l’anonymat) s’est, elle, brisé à la fois la jambe, la hanche et le bras lors d’une chute, mais elle n’a jamais perdu le sourire. Son fauteuil roulant est volumineux, avec un long repose-pied pour sa jambe. « Tu prends tout le couloir, tu veux que je te saute par-dessus ? », s’amuse un septuagénaire tout juste équipé d’une prothèse du genou. Cette prothèse, c’est le grand classique des « matahiapo » (« personnes âgées », en tahitien). Après cinq ans de souffrances, Jacques s’est laissé convaincre par l’opération réussie de son épouse, deux mois plus tôt.

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