Dans une société où l’image est reine, où le regard est roi, le sens de l’écoute est un organe atrophié. Aussi ne pouvons-nous que nous réjouir lorsque ponctuellement l’écoute est mise sur le devant de la scène. C’est ce qu’il s’est passé le 26 février. Nicolas Philibert a été consacré en obtenant l’Ours d’or au Festival international du film de Berlin pour son documentaire Sur l’Adamant. Une œuvre qui filme l’infilmable, à savoir l’écoute d’une parole. En décidant de concentrer son attention sur la souffrance psychique et la parole des malades, Philibert a visé juste. Il nous fait entendre une parole d’une grande intensité.
L’Adamant est un hôpital de jour posé sur la Seine, au cœur de Paris. C’est ce lieu – rare dans la psychiatrie contemporaine –, où les soignés et les soignants cohabitent autour d’ateliers thérapeutiques. Pourquoi sont-ils thérapeutiques ? Tout simplement parce qu’ils créent du lien humain. Et quand le pont est rétabli, les rôles deviennent plus fluides et plus flous. Une part de liberté revient. Sur l’Adamant, les étiquettes sociales et médicales s’amenuisent… Qui soigne ? Qui est soigné ? On ne sait plus vraiment.
Tout cela relève-t-il de l’anecdote ? Non, à en croire le succès rencontré par ce documentaire atypique. Car un miracle s’y produit : écouter la souffrance psychique, c’est-à-dire accorder une place à son expression, semble soigner non seulement le malade, mais aussi la société qui l’écoute.
Nous détournons le regard
L’instinct politique d’un Emmanuel Macron n’est d’ailleurs pas passé à côté du phénomène. Le président de la République a immédiatement rendu hommage à l’Ours d’or français ainsi qu’aux « patients et soignants du monde psychiatrique », louant leur « humanité » et leur « engagement ». On aimerait que ces paroles justes soient suivies d’actes forts. Faut-il rappeler que, malgré le concert de louanges, la psychiatrie en France est le parent pauvre du monde de la santé ?
Bravo à Nicolas Philibert, récompensé à Berlin par un Ours d’or pour son nouveau documentaire « Sur l’Adamant » ! C… https://t.co/2FipXvo31J
Allons-nous encore une fois zapper ? Revenir au seul pouvoir de l’image et fermer cette parenthèse éphémère accordée à l’écoute ? C’est le plus probable, car il faut être lucide, la souffrance psychique, hormis cette pépite cinématographique, fait peur. Elle nous renvoie à notre vision manichéenne d’un « fou » étranger à nous. Un fou qui nous menace, nous rappelle que la mort, l’absurde, la souffrance, la solitude sont à chaque coin de rue. Un fou surtout qui passe parfois à l’acte lorsqu’il n’y a plus de suivi psychiatrique et psychothérapeutique.
Réflexe de survie : il faut donc l’éloigner, le proscrire, l’écarter. Immédiatement nous créons une barrière. Barrière mentale : nous détournons le regard. Barrière physique : nous l’isolons derrière les murs de l’hôpital et si possible loin des centres urbains.
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