Hors-série. La Terre compte, en 2023, 7 % de vivants et 93 % de morts depuis l’aube de l’humanité, selon FiveThirtyEight, un site Web américain spécialisé dans les statistiques. Etonnant, non ? Mais, à vrai dire, pourquoi en être surpris ? Cette statistique suggère bien l’idée que les défunts sont omniprésents dans nos vies. Les morts nous entourent − c’est certain −, nous accompagnent, souvent nous hantent, ou nous étouffent, parfois. Nos plaques de rue, nos cimetières, une bonne partie des œuvres d’art évoquent les défunts. Nous vivons entourés par eux ; il faut l’admettre et ne pas chercher à les enfouir dans un travail de deuil illusoire.
La philosophe Vinciane Despret rappelle qu’il n’y a « qu’en Europe et en Amérique que l’on croit que les morts sont vraiment morts ». Les autres civilisations s’arrangent autrement avec leurs disparus. Les habitants de l’Egypte antique, par exemple, écrivaient à leurs morts. Et, maintenant, un autre chiffre donne à réfléchir : d’ici à 2100, Internet comptera près de 2 milliards de profils de personnes mortes, car on reste joignable sur la Toile, et donc on ne meurt pas…
L’écrivain Alphonse Allais (1854-1905) disait : « La mort est un manque de savoir-vivre. » L’humoriste Pierre Dac (1893-1975), qui n’était pas en reste, précisait : « La mort n’est, en définitive, que le résultat d’un défaut d’éducation puisqu’elle est la conséquence d’un manque de savoir-vivre. » On pourrait encore utiliser cette sentence aujourd’hui, tant la question de la fin de vie reste au cœur de l’actualité au moment où le Parlement se prépare à légiférer sur cette question vitale. Nombreux sont les livres, tous plus poignants les uns que les autres, qui racontent l’agonie de proches dans des circonstances indignes.
Ces témoignages nombreux et les résultats de la convention citoyenne sur la fin de vie montrent qu’il est temps d’agir. C’est bien la preuve du relatif échec des soins palliatifs et qu’il faut aller plus loin que la loi Claeys-Leonetti (2016). Mais ce n’est pas aussi simple.
Une voie médiane ?
Rien que les mots posent problème : faut-il parler d’« euthanasie » ou de « mort choisie passive », de « suicide assisté » ou de « mort choisie active » ? Faut-il légaliser l’euthanasie comme en Belgique, aux Pays-Bas ou en Espagne, en s’entourant de toutes les précautions pour éviter les dérives que dénoncent certains à propos de l’expérience de ces pays ? Ou s’engager dans la voie ouverte par la Suisse avec le suicide assisté ? Ou encore trouver une voie médiane, une voie française pour la fin de vie ? Le chemin est étroit, les forces politiques et les associations sont partagées et préparent un affrontement complexe au Parlement, à tel point que les termes de la loi tardent à voir le jour.
Une chose est certaine : les malades, les familles et les Français en général attendent une amélioration de l’aide active à mourir. Ce hors-série du Monde, « La mort en face. Comment légiférer sur la fin de vie », réalisé en partenariat avec Les Rendez-Vous de l’histoire de Blois, se saisit de ce sujet hautement sensible et intime et essaie d’y voir plus clair sur la vie, la mort et l’au-delà.
« La mort en face. Comment légiférer sur la fin de vie », un hors-série du « Monde », 100 pages, 10,90 euros.
Nos tribunes sur l’aide active à mourir
Retrouvez l’ensemble de nos contenus sur la fin de vie sur cette page.
- Marta Spranzi : « Un devoir d’accompagnement que la médecine doit assumer jusqu’au bout »
- François Larue : « L’ambivalence des patients en fin de vie doit être respectée »
- Association pour le droit à mourir dans la dignité : « Nous, professionnels de santé, disons haut et fort que l’aide médicale à mourir est un soin »
- François Blot : « La légalisation ou non de l’aide active à mourir ne pourra être que sacrificielle »
- Jacqueline Herremans : « Le respect de l’autonomie du patient est le maître mot »
- Theo Boer : « Ce qui est perçu comme une opportunité par certains devient une incitation au désespoir pour les autres »
- Association Renalo : « La mort de Delphine n’est pas un suicide, elle n’attente pas elle-même à sa vie à l’aide d’un moyen actif »
- Conférence des évêques de France : « L’attente la plus profonde de tous n’est-elle pas l’aide active à vivre, plutôt que l’aide active à mourir ? »
- Sadek Beloucif et Chems-eddine Hafiz : « L’euthanasie et le suicide assisté sont une profanation de l’acte de soin »
- Denis Labayle : « Que chacun puisse choisir en fonction de ses convictions »
- Antony Boussemart : « Pour nous, bouddhistes, vouloir remédier à la souffrance en mettant fin à la vie revient à se tromper de combat »
- Emmanuel Hirsch : « Légiférer sur l’euthanasie n’est pas une urgence politique »
- Laurent Frémont : « Si on appliquait la loi avant de chercher à la modifier ? »
- Claude Evin : « Restaurer la dimension complexe des questions entourant la fin de vie est aujourd’hui une urgence citoyenne »
- Bernard Poulet : « On a le « droit » de se suicider, mais il est interdit de se faire aider. Quelle est la logique ? »
- Elisabeth Angellier, Carole Bouleuc et Sylvie Dolbeault : « Avec l’aide active à mourir, la violence sera déplacée sur les professionnels de santé »
- Martine Lombard : « Offrons une possibilité apaisée de mourir »
- Isabelle Marin : « La ghettoïsation des personnes âgées ne peut que conduire à des formes de maltraitance »
- Marie de Hennezel : « Il faudrait dix fois plus d’embauches pour assurer la dignité des fins de vie de nos âgés »
- Alain Claeys : « Cette proposition de loi ne peut être considérée comme la seule réponse à cet enjeu »
- Véronique Fournier : « Les forces conservatrices sont puissantes dans notre pays »
- « Nous sommes parlementaires Les Républicains (LR) et nous sommes favorables à l’aide active à mourir »
- Claire Fourcade : « Pour un accès généralisé à des soins palliatifs de qualité à domicile »
- François Galichet : « Il suffirait que le seul produit qui permette une mort douce soit susceptible d’être prescrit par les médecins pour que tout obstacle disparaisse »
- Jean-Luc Romero-Michel : « La crise sanitaire a révélé les carences de notre loi sur la fin de vie »
- Jean Leonetti : « Vincent Lambert est devenu, malgré lui, le symbole de la fin de vie »
- Philippe Bizouarn : « Les conditions d’une délibération collective ne sont absolument pas réunies »
- Brahim Bouselmi et Sandrine Bretonnière : « Dans le domaine de l’aide médicale à mourir, seul le droit positif permettrait de garantir un choix aux individus »
- Jean-Marc Sauvé : « Légaliser l’euthanasie, n’est-ce pas renoncer à la construction de notre projet collectif ? »
- Denis Labayle : « Obliger un malade à vivre malgré son désir d’en finir, cela relève-t-il du soin ou d’une nouvelle forme d’acharnement médical ? »
- Un collectif de plus de 90 professionnels de santé : « Nous, professionnels de santé, devons accompagner les malades sans espoir de guérison dans leur demande d’aide active à mourir »
- Jean-René Lecerf : « La “malemort” se nourrit aujourd’hui de l’inégalité d’accès aux soins palliatifs »
L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
Contribuer