A la suite de la convention citoyenne sur la fin de vie, le gouvernement a décidé de présenter un projet de loi sur l’aide active à mourir. Indépendamment des questions juridiques que pose cette réforme, elle a des implications sociales, éthiques et médicales qu’il faut savoir regarder.
La société ne peut être considérée comme la seule coexistence de libertés individuelles, qui n’imposeraient à chacun aucune obligation vis-à-vis des autres. Le dérèglement climatique, les épidémies, les questions migratoires le rappellent chaque jour. Le courant en faveur d’une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté qui se réclame du droit à l’autonomie de l’individu, mis en exergue en 2020 par la Cour constitutionnelle fédérale allemande, méconnaît cette dimension essentielle. Il revendique la maîtrise de la mort par l’individu, présentée comme l’ultime liberté. La vulnérabilité, le handicap, la maladie, la vieillesse, la dépendance, qui font partie de l’existence, sont refoulés de cette vision du monde. Le soin et la sollicitude n’y trouvent pas leur place.
Ce prisme individualiste feint d’ignorer les effets du signal envoyé par une légalisation de la mort provoquée sur des personnes âgées ou souffrant de troubles psychiques. Comme si celles-ci ne seraient pas conduites à intérioriser davantage encore leur rejet par la société. Ce risque n’est pas une vue de l’esprit. Déjà en 2012, le professeur Didier Sicard faisait valoir que « les contraintes économiques qui vont dans tous les cas augmenter peuvent susciter un sentiment de culpabilité chez les personnes en perte d’autonomie pouvant les conduire à formuler une demande d’euthanasie ». La perception d’être une charge pour les proches explique 53 % des cas de recours au suicide assisté en Oregon en 2021 et 36 % des cas d’euthanasie au Canada.
L’alibi d’une détresse
Dans une tribune au « Monde », un médecin démissionnaire d’une commission régionale néerlandaise de contrôle d’application de la législation relative à l’euthanasie faisait part de son expérience : « Ce qui est perçu comme une occasion bienvenue par ceux qui sont attachés à leur autodétermination devient rapidement une incitation au désespoir pour les autres. » L’euthanasie devient ainsi l’alibi d’une détresse que l’on n’a pas voulu ou su prévenir. Elle n’a par ailleurs aucun impact sur le nombre des suicides, qui augmente là où elle est légalisée. Il faudrait aussi expliquer comment la légalisation du suicide assisté peut se concilier avec une politique de prévention du suicide. Le Bundestag ne s’y est pas trompé, privilégiant, le 6 juillet, la prévention du suicide par rapport à un élargissement du champ du suicide assisté.
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