Fin de vie : « L’ultime droit de l’être humain est de décider de mourir à sa façon, la mission du soignant est de l’y aider »

0
5

La médecine peut-elle, en 2023, accompagner dignement une fin de vie à domicile ? La loi de février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et personnes en fin de vie dispose que toute personne a droit à « une fin de vie digne accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens pour que ce droit soit respecté. (…) A la demande du patient, la sédation profonde et continue peut être mise en œuvre à son domicile ». Mais il y a loin des principes à la pratique.

Pierre [Scheffer], mon mari, chirurgien retraité, est mort le 15 octobre 2022 d’un gliome. Il a débattu en toute conscience avec les médecins à chaque stade de sa maladie, dont il savait l’issue. Il a clairement affirmé son refus de l’acharnement thérapeutique, donné priorité à la qualité sur la durée de vie, refusé la dégradation de son état et de la vision qu’il avait de lui-même. Un homme debout, passionné par la vie, mais aussi par le respect de soi et de l’autre dans toute son intégrité. Pierre voulait mourir chez lui, entouré des siens, de sa musique, de ses livres.

Nous avons tout fait pour respecter cette volonté. Hélas, un vrai parcours d’obstacles a abouti à son décès dans une unité de soins palliatifs (USP). Un mois durant, nous avons subi les errances d’organisation de l’hospitalisation à domicile (HAD) : médicaments livrés plusieurs fois par jour et à toute heure, équipements installés avec retard, problèmes de transmission. Transféré à l’hôpital via la HAD elle-même, Pierre recevait encore des appels sur son portable pour des livraisons à domicile. L’équipement a été récupéré chez nous plus de dix jours après son décès. Un mois après, un prestataire appelait à nouveau sur son portable pour récupérer du matériel.

Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « Pour moi, malade de Parkinson, le débat sur la fin de vie n’est pas un affrontement de principes mais une question existentielle »

Ce fut une lutte permanente pour limiter autant que possible sa souffrance morale et physique. Les soignants, certes empathiques, étaient souvent mis en difficulté par le contexte. Sans parler de jeunes infirmiers mal formés à l’autonomie requise au domicile du patient.

Suivi médical et coordination entre le service d’oncologie, la HAD, le patient et sa famille ne furent également que douleur. Tout cela pour nous dire enfin qu’une sédation profonde à domicile était impossible, faute de présence médicale continue. « Il y a la loi rédigée pour les citoyens, et la réalité médicale », nous a dit le médecin ! A nous de choisir : transférer Pierre en USP ou le garder à la maison.

Dégradation inéluctable

Le 12 octobre, Pierre a été transféré en USP. Il y est mort le 15. Présents jusqu’au bout, nous n’avons pas pu respecter son souhait : partir avant d’entrer dans une souffrance physique et psychologique qui l’atteignait au plus profond de lui. Nous ne pouvons qu’espérer qu’il ne se soit pas aperçu de son transfert, car il l’aurait vécu comme une trahison, comme nous l’avons vécu. Notre histoire illustre les impasses actuelles face à la fin de vie, et les limites de la loi qui ne répond pas à la demande citoyenne légitime de mourir dignement, avant une dégradation inéluctable.

Il vous reste 52.09% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici