De faux airs de New York, des boutiques branchées, des restaurants étoilés, un pôle universitaire réputé, des start-up florissantes, un festival du film très couru… Toronto, a priori, a tout pour faire rêver : cette ville de trois millions d’habitants, deuxième place financière d’Amérique du Nord, est le cœur battant, économique et culturel, du Canada. Mais il suffit d’y flâner, de passer outre l’agitation des cols blancs, pour voir surgir, dans la rue, une autre réalité : un homme tenant à tue-tête des propos décousus, des mendiants en fauteuil roulant, ou encore, le soir venu, ces adolescents massés sous les porches d’immeubles pour échapper au froid.
Toronto va mal et vit désormais au rythme des violences dues aux problèmes de santé mentale d’une partie de sa population. En avril 2022, une jeune femme est poussée « gratuitement » sur les rails du métro. Quelques mois plus tard, une autre femme est poignardée dans le tramway. Le 25 mars, dans le métro à nouveau, un ado de 16 ans est tué à coups de couteau lors d’une attaque « non provoquée », selon la terminologie de la police. La liste est sans fin, et la crise si grave que le maire, John Tory (conservateur), en place depuis 2014, a lancé un cri d’alarme sur cette « épidémie » qui frappe, après celle du Covid-19, d’autres métropoles nord-américaines, de Chicago à Montréal, d’Atlanta à Vancouver.
Le 23 janvier, peu avant d’être contraint à la démission en raison d’une liaison extraconjugale dissimulée, M. Tory avait réclamé au premier ministre, Justin Trudeau, la tenue d’un « sommet national sur la santé mentale ». Ses arguments : en 2022, la demande de services psychologiques en Ontario a augmenté de 50 % ; plus d’un jeune sur deux dans la province dit souffrir d’un trouble mental.
Rejetant la responsabilité du manque de ressources financières sur le gouvernement de l’Ontario et sur les autorités fédérales, chargés du domaine de la santé, la municipalité a surtout misé, jusque-là, sur la sécurité. Lors de l’hiver 2022-2023, 80 policiers supplémentaires ont été déployés dans les transports publics. Le budget de la police, premier poste financier de la commune, a crû de 48 millions de dollars canadiens (32 millions d’euros) en 2023, au détriment de celui alloué à l’emploi et aux services sociaux, en baisse de 4 millions de dollars, et de celui du service du logement (− 2,5 millions).
L’importance du code postal
Au centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto, le vieux bâtiment qui accueille les délinquants et meurtriers ayant échappé à la prison pour troubles mentaux avérés est placé sous haute surveillance. En ouvrant les portes d’accès à son bureau sécurisé, le psychiatre Sandy Simpson convient que la pandémie de Covid-19 a aggravé, ici comme ailleurs, la précarité psychique d’une frange de la population. Mais ce spécialiste pose un diagnostic propre à sa ville : « On parle de crimes dus à la santé mentale, on devrait plutôt parler de crimes liés à la pauvreté. Quand on doit attendre dix ans pour obtenir un logement social, que le nombre d’habitants ne cesse de croître sans que n’augmente celui des médecins, des infirmières ou des travailleurs sociaux, ce sont des milliers de gens qui restent livrés à eux-mêmes, sans ressource ni accès aux soins. »
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