« On sait que la drogue est arrivée sur le territoire français. Pour l’instant, on ne souffre pas encore de mort par overdose » : la chroniqueuse Valérie Benaïm a affirmé, mardi 12 septembre dans l’émission « Touche pas à mon poste ! » (« TMPP »), que la « drogue du zombie » était présente sur le territoire hexagonal. Aussi appelée « tranq », la xylazine est un anesthésiant pour animaux qui peut être mélangé à du fentanyl (une drogue de synthèse créée pour soulager les patients atteints de cancers) et qui fait des ravages en Amérique du Nord. Cette information est fausse et avait déjà été vérifiée par plusieurs médias : rien n’est à signaler, pour le moment, en France.
Des vidéos montrant des personnes ivres ou handicapées
Avant d’être reprise et commentée dans l’émission de Cyril Hanouna, cette fausse information avait été diffusée la veille par le compte X (anciennement Twitter) « Cerfia ». Ce profil, aux plus de 700 000 abonnés sur le réseau social, affirmait que « plusieurs cas s’apparentant à la “drogue du zombie” [avaient] été recensés à Rouen ces derniers jours ». Outre cette publication, supprimée par la suite, la page avait associé deux vidéos de personnes présentées comme des consommateurs de « tranq » autour de Rouen.
France 3 Normandie et Libération, notamment, ont vérifié l’origine de ces deux séquences. Pour la première vidéo, où l’on voit une femme marcher avec difficulté en direction d’un homme, les commerçants de Darnétal (Seine-Maritime) ont confirmé que les deux personnes étaient en situation de handicap. Pour la deuxième vidéo, l’auteur des images a expliqué que les deux hommes avachis dans les transports en commun rouennais étaient en état d’ébriété.
Cette fausse information n’a pas seulement été reprise par « TMPP », « Cerfia » et d’autres comptes X ou Snapchat. Le président des Républicains, Eric Ciotti, s’est également engouffré dans la brèche. « De plus en plus d’indices se font jour d’une circulation active dans notre pays de substances causant des effets similaires à la “drogue du zombie”. Des images circulant sur les réseaux semblant attester de cette consommation dans plusieurs villes », s’est inquiété le député des Alpes-Maritimes dans un courrier à la première ministre, Elisabeth Borne. Il lui demande « d’engager au nom de la France une négociation au niveau européen afin de classer la xylazine dans les substances classées au titre du contrôle des précurseurs de drogues ».
Démenti de la préfecture, enquête de l’Arcom
Le préfet de Normandie et de la Seine-Maritime a publié un message sur X pour démentir la vidéo. « Face à un compte qui publie des contenus à sensation et dont il n’est pas l’auteur, soyez prudents. Ne partagez pas d’informations non vérifiées. »
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Acom) a été saisie, selon Libération, pour « instruire la séquence » problématique qui s’est déroulée sur le plateau de Cyril Hanouna. L’animateur s’est excusé, dans son émission du 13 septembre, auprès de la ville de Rouen et des personnes présentes sur les vidéos, mais a maintenu que l’information diffusée n’était pas « une “fake news” ». La chaîne C8 a déjà fait l’objet d’une amende de 500 000 euros, en juillet, pour avoir diffusé en mars une séquence sur l’adrénochrome, une prétendue drogue à base de sang d’enfant, toujours dans « TPMP ».
Aucun cas répertorié en France
L’addictologue Amine Benyamina a attentivement suivi cette séquence médiatique qui a beaucoup fait parler. Il confirme au Monde qu’aucun consommateur de la « drogue du zombie » n’a à ce jour été détecté en France. « En tant que président de la Fédération française d’addictologie, j’aurais sûrement eu des échos s’il y en avait, assure le professeur de l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). On n’a toujours pas eu à prendre en charge des personnes qui consomment ce type de produit en France. » Des propos confirmés par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, qui déplore au passage l’utilisation de la formule « drogue du zombie », la jugeant « stigmatisante. »
Les effets de dépression respiratoire, de nécrose cutanée, de baisse de la tension artérielle et de chute de la température corporelle – caractéristiques de la prise de « tranq » – conduisent « souvent à la mort », déplore le professeur Benyamina. Aux Etats-Unis, le nombre d’overdoses mortelles liées à ce produit a été multiplié par treize entre 2018 et 2022, selon le Centre de contrôle et de prévention des maladies. Ce « problème de santé publique grandissant », ciblé par l’Agence américaine des médicaments, tente d’être endigué par le pays qui, depuis février, contrôle plus drastiquement l’importation de xylazine. Le Canada s’inquiète lui aussi de la consommation grandissante de ce produit, cent fois plus puissant que la morphine et cinquante fois plus que l’héroïne.
Si aucun cas n’est encore à déplorer en France, le professeur Benyamina reste vigilant. « Tout ce qui se passe dans les autres pays nous intéresse. On est dans un monde globalisé où tout peut circuler. Les tendances qui commencent dans un pays peuvent venir en France. Ce sont des produits qui finiront peut-être un jour par arriver. »