Il n’a jamais fait mystère de son soutien à la légalisation de l’euthanasie. Dans son dernier livre, La Clé des champs et autres impromptus (PUF, 288 pages, 16 euros), André Comte-Sponville s’attarde longuement sur ce sujet, lui qui siège au comité d’honneur de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et qui a été membre du Conseil consultatif national d’éthique de 2008 à 2016. Michèle Lévy-Soussan, médecin responsable de l’unité mobile d’accompagnement et de soins palliatifs à la Pitié-Salpêtrière (Paris 13e), coanimatrice de la cellule de support éthique Pitié-Salpêtrière-Sorbonne Université, chemine quant à elle aux côtés de patients en fin de vie depuis plus de vingt ans ; elle assiste aux travaux de la convention citoyenne en tant que chercheur-observateur. Refusant une approche dogmatique de ce sujet sensible, elle interroge ce que pourrait être le « juste soin » dans les situations les plus critiques, avec comme boussole l’écoute et l’accompagnement respectueux du malade.
André Comte-Sponville, vous qui êtes favorable à la légalisation de l’euthanasie, que répondez-vous à ceux qui opposent le « droit à mourir » au « devoir de vivre » ?
André Comte-Sponville : Je leur répondrai que la vie n’est pas un devoir mais un droit ! Et rappelons d’entrée de jeu que le droit de vivre est plus important que le droit de mourir. Il va de soi que l’urgence est d’aider à vivre ceux qui le souhaitent, qui sont l’immense majorité, et non d’aider à mourir les quelques-uns qui ne supportent plus l’existence. Pour autant, ces deux droits ne s’excluent pas. On a le droit de mettre fin à ses jours. Presque tous les philosophes non religieux se rejoignent sur ce point, dans l’Antiquité comme aujourd’hui : le suicide fait partie des droits de l’homme. Bien sûr, c’est la vie qui vaut. Mais puisque la mort fait partie de la vie, nous n’avons pas le choix de mourir ou non. En revanche, on a parfois le choix du moment et des modalités de sa mort ; je ne vois pas pourquoi il faudrait nous priver de ce droit.
Ce n’est pas une question de dignité. L’Association pour le droit de mourir dans la dignité mène un juste combat mais se trompe sur le vocabulaire. Puisque tous les êtres humains sont égaux en droits et en dignité, le mourant a bien entendu la même dignité que vous et moi qui sommes, pour l’instant, en bonne santé. Ce n’est pas une question de dignité mais de liberté. Liberté suprême ? Non pas : la liberté de vivre est plus précieuse, mais liberté ultime. Pourquoi devrais-je y renoncer ?
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