Cela fait deux semaines que son genou lui fait mal. Peut-être que ce n’est rien de grave mais pour cet ouvrier du bâtiment, spécialisé dans les travaux de maçonnerie, son genou, c’est comme un outil de travail. Sauf que Sikou (les personnes citées par leur prénom ont requis l’anonymat) n’a pas de couverture santé. Arrivé en France en 2018, il est sans-papiers et n’a pas réussi à renouveler sa carte de bénéficiaire de l’aide médicale d’Etat (AME), une prise en charge d’un panel de soins réduit pour les personnes en situation irrégulière. Alors ce matin d’automne, faute de solution, il s’est rendu dans un des centres d’accès aux soins et d’orientation de l’ONG Médecins du Monde (MDM) à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) afin d’être vu par un docteur. Ce dernier, Marc Pomper, lui donne un antalgique et des anti-inflammatoires. En l’auscultant, il constate que le Malien présente « un peu de tension ». « Vous pouvez revenir dans trois semaines pour vérifier », propose-t-il.
En recevant des personnes sans couverture santé, Marc Pomper a un aperçu des situations qui pourraient se multiplier si l’AME était supprimée et remplacée par une « aide médicale d’urgence », comme le prévoit le texte de loi immigration examiné depuis le lundi 6 novembre au Sénat.
Minkoro, un Ivoirien de 36 ans, souffre d’une cardiomyopathie dilatée. Comme il réside en France depuis moins de trois mois, il n’a pas encore droit à l’AME. « C’est un cas extrême, estime M. Pomper. Je l’ai envoyé à l’hôpital il y a quelques jours parce que je pensais qu’ils le garderaient pour faire un bilan correct mais ils l’ont renvoyé au bout d’une journée avec un traitement d’insuffisant cardiaque sans même lui faire une coronarographie. » Faute de ressources pour acheter les médicaments qui lui ont été prescrits, Minkoro est retourné voir MDM dans l’espoir de les obtenir à titre gratuit.
Loin de l’idée – rebattue à droite et à l’extrême droite – que l’AME servirait à couvrir des soins de complaisance, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF) de 2019 rappelait que « d’après les statistiques de l’Assurance-maladie, les bénéficiaires de l’AME consommeraient moins de médicaments “de confort” que la population générale : c’est par exemple le cas des médicaments contre le rhume et la toux (– 6 %), des médicaments contre les troubles digestifs (– 19 %) et des anti-acnéiques (– 42 %) ».
Non-recours très fréquent
Au centre de MDM à Saint-Denis, qui a vu passer environ 3 000 personnes en 2022, les gens viennent notamment pour « des problèmes de diabète, d’hypertension, de sommeil », énumère Isabelle Jouy, infirmière bénévole. « La semaine dernière, une dame est venue parce qu’elle avait une tumeur dans le dos. Ce matin, un monsieur s’inquiétait pour sa mère qui a un cancer. J’ai aussi orienté onze personnes pour un dépistage de la tuberculose. »
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