mardi, octobre 15

L’annonce par Sanofi de la vente de sa filiale Opella – qui produit le Doliprane – à un fonds d’investissement américain suscite l’inquiétude.
Politiques comme salariés craignent une fermeture des sites en France, mettant en péril la production de paracétamol dans le pays.
Une situation qui irait à rebours de la politique de relocalisation, portée notamment par la commission parlementaire visant à lutter contre les pénuries de médicaments.

C’était un objectif bien identifié et clairement exprimé par Emmanuel Macron. En juin 2023, le président de la République était en Ardèche pour annoncer une accélération de la relocalisation de production de médicaments . Un moyen pour lutter contre les risques de pénuries , qui ont régulièrement impacté les systèmes de santé français et européen lors de la crise du Covid-19. « On se dit qu’on doit absolument continuer de relocaliser la matière première ou le produit fini, parfois les deux, pour sécuriser l’approvisionnement en stock du territoire », déclarait alors le chef de l’État français, depuis le laboratoire pharmaceutique Aguettant, près d’Annonay.

Mais quelques mois plus tard, la vente par Sanofi de sa filiale Opella , qui produit notamment le Doliprane , médicament le plus vendu en France, à un fonds d’investissement américain, semble aller à l’encontre de cette politique. Surtout, elle provoque l’inquiétude pour l’avenir de ces sites de production dans l’Hexagone. Dans un courrier à l’initiative de l’élu Ensemble, Charles Rodwell, une soixantaine de députés de tous bords ont d’ailleurs appelé le gouvernement à bloquer la vente, estimant « que cette opération pose un enjeu très préoccupant pour notre sécurité nationale ».

Un grand plan pour lutter contre les pénuries insuffisant ?

Six mois après l’annonce par la ministre de la Santé de l’époque, Catherine Vautrin, d’un plan pour lutter contre les pénuries de médicaments , cette vente questionne effectivement sur l’efficacité des mesures prises alors. « Ce sont des paroles qui ne sont pas suivies d’actes », réagit auprès de TF1info, Laurence Cohen. Cette ancienne sénatrice communiste fut rapporteure d’une commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française. 

Parmi les 36 recommandations portées par cette commission , il était notamment demandé que les aides publiques et incitations fiscales à l’industrie pharmaceutique soient conditionnées et qu’elles soient ciblées « sur les projets à plus forte valeur ajoutée du point de vue de la souveraineté sanitaire et industrielle. » Une mesure qui n’a pas été appliquée, menant à la situation actuelle, pour Laurence Cohen.

« Il faut qu’il y ait des conditionnalités. Que Sanofi continue à avoir des aides publiques tout en faisant la pluie et le beau temps sur la politique du médicament, sans tenir compte des besoins réels des patients et des patientes, il y a quelque chose qui ne va pas », souligne-t-elle. « Les mesures qui sont prises par le gouvernement ne sont pas à la hauteur de ce qu’il faudrait faire », ajoute-t-elle.

On ne va pas régler ce problème à moins de 6-7 ans

Sonia de La Provôté

La présidente de cette commission, Sonia de La Provôté, partage la colère de Laurence Cohen, d’autant que pour la sénatrice de Normandie et membre du groupe Union centriste, cette vente était annoncée. « On sait que ce médicament comme beaucoup de médicaments dits matures, est en pénurie parce que ce sont des médicaments qui rapportent peu », détaille-t-elle. Lors de cette commission, « on a mis en évidence le fait que les choix stratégiques des gros laboratoires étaient de moins prendre en compte ces traitements, dits matures, mais qui sont indispensables, au détriment de l’innovation, qui a une grande valeur ajoutée », expliquant ainsi la vente par Sanofi de sa filiale.

Pour autant, la sénatrice défend le plan précédemment porté par le gouvernement, soulignant qu’il faudra du temps pour voir les résultats de ces mesures. « On voit bien que par petites touches, les choses se mettent en place. Il ne va pas y avoir une solution qui va régler le problème. Et puis, on ne va pas régler ça à moins de 6-7 ans », estime-t-elle. Par ailleurs, face au « bras de fer » qui s’annonce avec les laboratoires pharmaceutiques, elle préconise l’échelon européen. 

Face à l’opération de vente présentée par Sanofi, « il faut maintenir la pression, il faut conforter le fait que ça reste un intérêt public et que ce n’est pas un bien de consommation ordinaire », insiste-t-elle. Sonia de La Provôté a ainsi salué le déplacement du ministre de l’Économie, Antoine Armand , et de son collègue de l’Industrie, Marc Ferracci, à Lisieux, sur le principal site de production français du Doliprane, ce lundi 14 octobre, alors que les salariés se mobilisent. « À un moment, il faut formaliser le fait que les pouvoirs publics sont en vigilance et ne considèrent pas cet événement comme un événement de gestion industriel. Cela dépasse ce cadre-là », se félicite la sénatrice.

Preuve d’une surveillance au plus haut niveau, le président de la République lui-même s’est fendu d’une réaction. « On s’est battu pour que le Doliprane soit reproduit en France et qu’on reproduise des molécules et des médicaments qui sont indispensables », a appuyé le chef de l’État en marge d’un déplacement au Mondial de l’auto à Paris. Face à l’arrivée d’un nouvel actionnaire américain, il s’est voulu rassurant. « Le gouvernement a les instruments pour garantir que la France soit protégée », a-t-il insisté.


Aurélie LOEK

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