mardi, mars 18

La proposition de loi visant à « sortir la France du piège du narcotrafic » adoptée en commission et qui prévoit notamment la création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) sera examinée à partir de ce lundi 17 mars à l’Assemblée nationale. Parmi les différents points susceptibles de créer des accrochages dans l’hémicycle, un amendement fait particulièrement débat: l’article 8ter.

Souhaité par Bruno Retailleau, bien que le gouvernement ne le plébiscite pas officiellement, il entend offrir une « porte dérobée » aux services de renseignements et d’enquête sur les messageries chiffrées et non cryptées, pour obtenir le contenu d’échanges quand ils en font la demande.

« Une atteinte inacceptable à notre vie privée »

Il est ici question d’accéder aux discussions des narcotrafiquants et criminels sur WhatsApp, Signal ou encore Telegram. Après avoir été supprimé il y a une dizaine de jours par les députés en commission, l’amendement a de nouveau été déposé vendredi par Olivier Marleix (droite républicaine), Mathieu Lefèvre et Paul Midy (Ensemble pour la République).

Ce système de mouchard sur des applications pourtant utilisées pour communiquer en toute confidentialité est dénoncé par plusieurs députés, qui évoquent une mesure liberticide.

Le 4 mars dernier, le député Rassemblement national (RN) de l’Hérault Aurélien Lopez-Liguori fustigeait sur X « une atteinte inacceptable à notre vie privée et à la sécurité de nos communications ». Le premier signataire de l’amendement de suppression estime que le dispositif estime que c’est une méconnaissance totale de ce que signifie le chiffrement.

« Les clés de déchiffrement sont au niveau des terminaux des utilisateurs. La clé n’est pas centralisée quelque part au sein de la plateforme », explique-t-il. « Il faudrait alors mettre en place des portes dérobées pour toutes les communications, ce qui dépasserait largement le cadre de la lutte contre le narcotrafic. Le premier des hackers aurait accès à nos communications ».

« Il faut améliorer nos moyens de lutte contre le narcotrafic, mais pas en sacrifiant nos libertés publiques », le rejoignait Paul Christophle, élu socialiste de la Drôme.

L’amendement a même suscité une levée de boucliers dans les rangs de la majorité présidentielle. La ministre du Numérique Clara Chappaz et le président de la commission des lois, Florent Boudié (Renaissance), s’y sont montrés opposés.

« J’ai rappelé mon attachement à ce que le renforcement nécessaire des moyens pour la lutte contre la criminalité ne conduise pas à un affaiblissement généralisé du chiffrement », expliquait la ministre jeudi sur X. Ce type de mesure est aussi redouté par les experts en cybersécurité, au vu du risque ces portes dérobées puissent être détournés par des régimes autoritaires pour surveiller leurs citoyens.

Bruno Retailleau demande « une loi fondatrice »

La proposition de loi, issue des travaux de deux sénateurs Jérome Durain (PS) et Étienne Blanc (LR), arrive dans l’hémicycle après avoir été adoptée à l’unanimité par le Sénat le 4 février dernier. Les votes devraient être plus partagés à l’Assemblée, au vu de la tournure des débats en commission des lois début mars.

Le texte y a certes été adopté, mais avec le seul soutien du RN et de la coalition gouvernementale, et après avoir été amputé de plusieurs mesures phares. Les socialistes – comme les écologistes et les communistes – se sont abstenus, bien que l’un des leurs, Roger Vicot, soit corapporteur du texte. Les Insoumis ont voté contre.

Alors que « le narcotrafic est une menace existentielle » qui « menace nos institutions », il a espéré un « sursaut » des députés. Ces derniers « doivent donner à l’État une loi fondatrice car aujourd’hui, nous ne luttons pas à armes égales », a souligné samedi Bruno Retailleau auprès du Parisien.

Lui aussi supprimé, un article proposant la mise en place d’un « dossier coffre » ou « procès-verbal distinct » permettant de stocker des informations recueillies via des techniques spéciales d’enquête sans que les avocats des narcotrafiquants ne puissent y accéder lors de la procédure judiciaire.

Une disposition qui met à mal le principe du contradictoire, et dont la députée Éléonore Caroit (apparentée au groupe Ensemble pour la République), parmi d’autres, avait souhaité la suppression.

Un nouveau régime carcéral pour les narcotrafiquants?

D’autres mesures, votées en commission, ne manqueront pas de susciter de très vifs débats, comme la création un nouveau régime carcéral d’isolement pour les narcotrafiquants les plus dangereux, portée par le ministre de la Justice Gérald Darmanin. Suivant en cela un avis du Conseil d’État, ce dernier devrait soutenir l’amendement du rapporteur Vincent Caure portant « à deux ans renouvelables », plutôt que quatre, la durée d’affectation dans ces quartiers de haute sécurité.

Également très polémiques: la généralisation de la visioconférence pour les détenus des quartiers de haute sécurité, le passage à 120 heures de garde à vue pour les « mules », l’activation à distance des appareils électroniques fixes et mobiles… Autant de mesures que certains députés du « socle commun » veulent réintroduire après leur suppression en commission.

Invité de CNews dimanche, le député et coordinateur de LFI Manuel Bompard a dénoncé un texte « inefficace et dangereux ». Le député LFI Antoine Léaument se dit de son côté « chaud bouillant » à l’approche des débats, espérant convaincre au-delà des rangs Insoumis.

Article original publié sur BFMTV.com

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