Thibault Tellier, qui publie Histoire de la banlieue, est professeur d’histoire contemporaine à Sciences Po Rennes. Spécialiste des politiques de la ville et du logement social, il a publié en juin L’Enfant de La Courneuve. 1983, le meurtre de Toufik Ouannès (Michalon). Loïc Vadelorge, professeur d’histoire contemporaine à l’université Gustave-Eiffel, est, depuis 2019, responsable scientifique du laboratoire d’excellence Futurs urbains, dont les travaux sont à l’origine du livre collectif (Re)penser les villes. Regards croisés sur l’histoire et les avenirs possibles des villes, thème de la 27e édition des Rendez-vous de l’histoire de Blois.
L’un des axes de « (Re)penser les villes » consiste à refuser le principe de la table rase pour imaginer les villes du futur. « Une ville ne peut jamais se refaire complètement », écrivez-vous, Loïc Vadelorge. Comment expliquez-vous que ce rêve de réinvention ex nihilo soit à ce point omniprésent aujourd’hui ?
Loïc Vadelorge : C’est clairement lié aux impératifs de la transition écologique, dont l’urgence est telle qu’on en vient à penser qu’il faut tout refaire. Or, dans les pays du Nord, le bâti est déjà là, et il n’est évidemment pas adapté au changement climatique. Malheureusement, beaucoup d’acteurs publics n’en tiennent pas compte. Pour eux, il suffit de produire des « écoquartiers », des formes urbaines entièrement nouvelles, comme s’il y avait une solution magique qui éviterait de se confronter aux héritages. C’est un leurre, et la recherche urbaine peut aider à prendre de la distance par rapport à ce type d’approche, en rappelant la complexité des problèmes.
Thibault Tellier, « Histoire de la banlieue » regorge de villes du futur aujourd’hui disparues, les banlieues ayant été un terrain d’expérimentation privilégié au long du XXe siècle. Quelles formes ces projets plus ou moins utopiques ont-ils prises ?
Thibault Tellier : Le terme d’« utopie » peut surprendre à leur sujet, mais les grands ensembles construits à partir des années 1950 – ce qu’on appelle aujourd’hui « les quartiers » – me semblent en relever pour une part. Certes, ils répondaient d’abord à une urgence, étant donné la crise du logement qui frappait la France de l’après-guerre, mais il y avait bel et bien une dimension utopique dans l’idée que la banlieue du futur devait permettre au plus grand nombre d’accéder enfin à la modernité.
Je pourrais aussi citer les villes nouvelles – un sujet que Loïc Vadelorge connaît bien –, dont la création, dans les années 1970, a été accompagnée de tout un discours les présentant comme un nouveau départ. Ce qui n’avait pas été réussi avec les grands ensembles allait l’être grâce à cette nouvelle forme urbaine. En réalité, les villes nouvelles n’ont pas été si radicalement différentes des grands ensembles. Mais ce qui est surtout frappant, c’est ce retour régulier, qui ne date donc pas d’hier, du rêve de recréer les villes à partir d’un nouveau modèle.
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