Livre. Il serait faux de dire que l’on n’a plus à présenter Judith Butler, philosophe américaine aussi célèbre et influente qu’elle n’est vraisemblablement pas lue. C’est en partant précisément de ce constat que l’autrice de Trouble dans le genre (La Découverte, 2006), connue pour l’opacité de sa prose, s’interroge sur la part fantasmatique de la notion de « genre » telle qu’elle est décriée depuis qu’elle a infusé dans le débat public. Avec Qui a peur du genre ? (Flammarion, 448 pages, 23 euros), Judith Butler fait un net effort de pédagogie : la prose est (le plus souvent) accessible, la thèse, claire, et répétée maintes fois pour ceux qui ne suivraient pas.
Le genre, constate-t-elle, est devenu un « fantasme doué d’une puissance destructrice ». Il est décrit par ses détracteurs comme à la fois ultra-permissif (quand il charrie l’idée que chacun pourrait choisir son identité selon son caprice, ou que des droits aux homosexuels ou aux personnes trans entraîneraient des droits en rafale), et à vocation autoritaire, conquérante (quand il est présenté comme une idéologie individualiste, libérale, imposée « d’en haut » par une élite déconnectée). Ainsi, « combien de peurs sont réunies sur le lieu du genre ? », interroge-t-elle. « Si nos adversaires sont paralysés par la peur, accablés par la menace d’un fantasme dangereux, alors une autre approche doit être explorée (…). C’est à nous qu’il incombe de produire une contre-vision convaincante. » Butler vient en paix, sans ironie, tentant de comprendre la déraison qui agite les « antigenre ».
Partant donc du principe que ses critiques ne lisent pas les ouvrages de théorie, il lui fallait en passer par quelques mises au point sur tout ce que le genre n’est pas. Ainsi, explique Butler, le genre n’est pas une idéologie monolithique mais « une enquête », un questionnement sur l’espace entre les catégories binaires d’homme et de femme, et sur la façon dont ces catégories sont construites. Il ne nie aucunement la matérialité du corps. Ce serait encore une erreur de croire que la « construction sociale » du genre signifie qu’il est un artifice, une contrefaçon, distincte de la réalité matérielle du corps. Les choses, on l’aura compris, sont plus complexes. Cependant, le propos du livre n’est pas de redéfinir le concept, mais de s’intéresser à la violente levée de boucliers que ce dernier a suscitée dans le monde.
Il vous reste 54.78% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.