- Le procès de Cédric Jubillar a tenu la France en haleine pendant près d’un mois.
- Il s’est achevé vendredi 17 octobre avec une condamnation à 30 ans de réclusion criminelle.
- Retour sur ces quatre semaines d’audience et ce faisceau d’éléments qui a forgé l’intime conviction des jurés et des magistrats de la Cour d’assises.
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Disparition de Delphine Jubillar : son mari Cédric condamné à 30 ans de prison
Il était 15h30 ce vendredi 17 octobre 2025, quand Cédric Jubillar a été condamné à trente ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son épouse, Delphine, mettant un point final à quatre semaines d’audience, et un procès hors normes. Trois magistrats et six jurés tirés au sort ont jugé sur leur intime conviction dans une affaire sans scène de crime, sans corps et sans aveu.
« Il faut simplement emporter l’intime conviction des jurés. C’est juste ça la question, c’est pas ‘est-ce qu’il y a un corps’, c’est pas ‘est-ce qu’il y a des preuves’, c’est pas ‘est-ce qu’il y a une scène de crime, est-ce qu’il y a du sang à n’en plus finir sur le canapé, sur un couteau avec des empreintes’, c’est pas ça la question »,
explique dans le reportage Sept à Huit en tête de cet article Me Mourad Battikh, avocat de la famille de Delphine Jubillar. « L’intime conviction, c’est une fois qu’on a tout examiné, l’impression majeure que l’on garde. Ça ne se justifie pas, ça n’a pas besoin d’être expliqué. C’est vraiment au fond de soi ce que l’on pense »,
indique pour sa part Jean-Philippe Deniau, chroniqueur judiciaire de France Inter.
Les deux avocats de Cédric Jubillar ont annoncé immédiatement que leur client, qui a toujours clamé son innocence, souhaite faire appel du verdict. « Évidemment, il réagit comme quelqu’un qui est abattu, mais qui a cette lueur aussi de se dire que tout n’est pas définitif et que peut-être en appel un autre jury populaire pensera autrement »,
a notamment expliqué en sortant du tribunal, vendredi, Me Emmanuelle Franck, avocate de Cédric Jubillar.
Une série d’indices
Cédric Jubillar et Delphine Aussaguel s’étaient rencontrés à la sortie de l’adolescence et s’étaient mariés en 2013. Le couple avait deux enfants et vivait dans une maison de Cagnac-les-Mines (Tarn) près d’Albi que Cédric a construite sans jamais la terminer. Mais dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020, Delphine s’est volatilisée et c’est Cédric Jubillar qui signale sa disparition.
Quatre ans plus tard, l’enquête a réuni une série d’indices. Le fils du couple a raconté avoir été témoin d’une dispute entre ses parents. Une voisine a entendu les cris d’une femme. Dans le salon, les gendarmes ont retrouvé les lunettes brisées de l’infirmière. Selon plusieurs témoins, la voiture de Delphine a changé de sens de stationnement pendant la nuit, laissant penser que Cédric Jubilllar l’aurait utilisée pour se débarrasser du corps. Les enquêteurs, enfin, ont découvert le fossé qui s’était creusé entre Cédric et Delphine. Cette dernière avait rencontré un autre homme et souhaitait demander le divorce. Pour l’accusation, Cédric a tué Delphine. Mais pour la défense, ces indices ne prouvent en rien sa culpabilité.
Pendant une semaine, aucune recherche criminelle
Pendant une semaine, aucune recherche criminelle
Jean-Philippe Deniau, chroniqueur judiciaire de France Inter
Les deux avocats de Cédric Jubillar, qui ont lancé l’offensive les premiers lors du procès, ont notamment ciblé l’enquête des gendarmes. « C’est vraiment sur un moment précis, le tout début de l’enquête, où là, on sait que ce sont deux gendarmes inexpérimentés qui arrivent dans cette maison. À leur décharge, on leur dit : ‘il y a ce monsieur qui vient de nous appeler à la gendarmerie pour déclarer la disparition de sa femme’. D’ailleurs, c’est ce que ces gendarmes disent à l’audience : on vient au soutien de cet homme qui est en détresse »,
explique Frédéric Abéla, journaliste à La Dépêche du Midi
. « Il n’y a pas de gel de lieu. Sur le moteur de la voiture, on ne sait pas s’il est chaud, tiède, froid. On ne sait pas si les pneus ont charrié la terre ou des éléments qui pourraient nous conduire à se rendre sur un lieu bien précis »,
ajoute-t-il. « Et donc pendant une semaine, ça va rester une enquête en disparition inquiétante. Ça veut dire que pendant une semaine, il n’y a aucune recherche criminelle qui est faite »,
ajoute Jean-Philippe Deniau.
Les avocats reprochent aussi aux enquêteurs d’avoir négligé la piste des délinquants sexuels fichés dans la région, ou encore d’avoir trop rapidement mis l’amant de Delphine hors de cause.
Alors que l’enquête semblait vaciller, les avocats de la défense ont tenté de porter le coup de grâce en accusant les gendarmes d’avoir caché une information capitale concernant ce dernier. « Nous avons découvert dans le dossier – et c’est un élément du dossier, pas un coup de théâtre sorti de notre chapeau – qu’après étude de la cellule qui couvre le domicile des époux Jubillar, il ressort d’une liste que la ligne de M. Jean Donat-Maquet déclenche cette nuit-là à Cagnac-les-Mines »,
explique Me Alexandre Martin, avocat de Cédric Jubillar.
« C’était un moment qui nous a fragilisés, pour être parfaitement honnête, qui nous a posé question, et là on se dit : ‘on est peut-être passé à côté de quelque chose' »,
reconnait dans la vidéo ci-dessus Me Mourad Battikh, avocat de la famille de Delphine Jubillar. Dès le lendemain, la présidente du tribunal convoque à nouveau l’enquêteur en charge de la téléphonie qui reconnaît une simple erreur de copier-coller.
Un huis clos avec deux enfants en bas âge
Un huis clos avec deux enfants en bas âge
Me Philippe Pressecq, avocat de la cousine de Delphine Jubillar
Pour l’accusation, ce dossier de 15.000 pages a bien rassemblé un faisceau d’indices suffisant pour rétablir la culpabilité de Cédric Jubillar. Une expertise en particulier ferait de lui le seul meurtrier possible. « C’est le maître-chien qui vient vous dire ‘moi j’ai une bête de compétition, elle est multimédaillée : Maya, bergère allemande de son état, ne loupe rien' »,
explique Laurent Boguet, avocat du fils de Delphine Jubillar. Or, « le chien n’a pas trouvé de traces chaudes autour de la maison. On a la démonstration que Delphine Jubillar n’est jamais sortie de chez elle cette nuit-là. C’est crucial parce que si elle n’est pas sortie de chez elle, elle n’a pas pu partir, CQFD. Et elle n’a pas pu être tuée par un rôdeur ou quelqu’un qui serait venu de l’extérieur. Nous sommes véritablement dans un huis clos avec deux enfants en bas âge, un homme et une femme. Et cette femme disparaît »,
détaille l’avocat de la cousine de Delphine Jubillar, Me Philippe Pressecq.
Un autre détail va saisir la salle d’audience : les lunettes de l’infirmière retrouvées brisées. Un expert les a analysées. Pour les parties civiles, ces résultats désignent une nouvelle fois Cédric Jubillar. Cet expert « explique que les lunettes, elles n’ont pu être cassées que d’une force extérieure vers l’intérieur et que cette force, elle est globalement à minima de 83 joules. Un coup de poing amateur d’un homme d’environ 35 ans, un peu frêle de corpulence, c’est entre 80 et 90 joules. Ça commence à être un peu compliqué »,
assène Me Mourad Battikh.
Des réponses laconiques et frustrantes
« Ces lunettes en trois morceaux ont fait le tour des jurés avec le verre à côté. Je pense que c’était un élément matériel qui peut avoir l’air ridicule mais qui a pris un poids énorme. Elles ont concrétisé une scène de crime et un peu un corps qui reste. C’était la seule chose qui restait d’elle de cette nuit-là »,
estime Pauline Rongier, avocate d’une amie de Delphine Jubillar.
Alors que devant la cour, Cédric Jubillar a dû s’expliquer, ce dernier assure n’avoir rien vu, rien entendu, car il se serait endormi vers 22h30. À chaque question de la cour, ses réponses sont restées laconiques et frustrantes. Alors les avocats ont tenté de mettre l’accusé face à ses contradictions. « Je lui pose la question : ‘si Delphine est vivante, où pensez-vous qu’elle est ? Que pensez-vous qu’elle fait en ce moment ?’ Et il répond ‘mais je n’y ai pas réfléchi’. Il ne peut pas ne pas y avoir réfléchi, sauf s’il sait exactement ce qui s’est passé »,
raconte notamment Me Laurent De Caunes, avocat du frère de Delphine Jubillar.
Dix témoins qui racontent la même chose
Dix témoins qui racontent la même chose
Frédéric Abéla, journaliste à La Dépêche du Midi
Capable de mentir, Cédric Jubillar est-il capable de tuer ? Durant les quatre semaines de procès, les jurés se sont attachés à décortiquer sa personnalité tandis que sa famille, ses amis, les proches de Delphine ont défilé à la barre. « On a appris, grâce à l’enquêtrice de personnalité, grâce à sa mère aussi, le niveau de violence que Cédric Jubillar avait pu endurer lorsqu’il était enfant, pré-adolescent, et les violences possiblement commises par son beau-père. Ce schéma de violence qu’il a subi enfant, il l’a reproduit dans des proportions aussi très fortes auprès de Louis, son fils. Et la cour d’assises a régulièrement été saisie un peu d’effroi par les violences que pouvait infliger son père »,
explique Ronan Folgoas, journaliste au Parisien
.
« Quand vous avez un, deux, trois, dix témoins qui vous racontent la même chose sur Cédric Jubillar, qui vous disent que c’est quelqu’un d’injurieux envers sa femme, qui la traite de ‘salope’, qui maltraite son enfant, qui se comporte comme un goujat, qui pique des crises de nerfs, qui peut être agressif, violent, non seulement avec son fils mais aussi avec sa mère… Tout ça, au bout d’une semaine, ça pèse, qu’on le veuille ou non »,
explique, Frédéric Abéla, journaliste à La Dépêche du Midi
.
Un témoignage particulièrement lourd
Parmi tous les proches venus décrire Cédric Jubillar, un témoignage va peser particulièrement lourd : celui de sa mère, Nadine. Dans la salle, elle a choisi de s’asseoir sur le banc des parties civiles, au milieu de la famille de Delphine. « En août-septembre 2020, il commence à nous dire que Delphine veut divorcer. Je lui dis que je comprends. Je lui demande au départ pourquoi. Il me dit qu’elle en a marre de la maison, des travaux. Je lui dis ‘fais en sorte que…’ Si elle veut divorcer, il n’aura pas le choix. Il est dégoûté, dépité, malheureux aussi. Mais ça lui fait un choc, parce qu’il ne l’a pas vu venir »,
explique-t-elle.
Aujourd’hui, Nadine dit croire son fils coupable du meurtre de Delphine. La même intime conviction que celle exprimée par la cour d’assises du Tarn. Notamment à cause d’une phrase glaçante prononcée par son fils, trois semaines avant la disparition de Delphine. « Il me dit :
‘elle m’énerve. Je vais la tuer, je vais l’enterrer, et personne ne va la retrouver’. Et moi, ma première réaction, c’est :
‘arrête de raconter des conneries, c’est n’importe quoi, ce que tu racontes’. Et on se fait un câlin et il s’en va. Et moi, cette phrase, je l’oublie. Parce que pour moi, c’est des mots en l’air. À ce moment-là, c’est des mots en l’air »,
détaille-t-elle. Et d’ajouter : « Il dit depuis le début de ce procès qu’il est innocent, mais je me demande s’il en est convaincu ».
Cédric Jubilar sera rejugé en appel, dans un an.









