vendredi, mai 17

Chaque année, ou presque, des instituts de sondage interrogent les Français sur la taxation des successions. A quelques pourcentages près, les résultats sont sans équivoque : une grande majorité des participants plaide pour leur baisse. Selon la dernière étude Odexa pour le magazine Challenges du 25 avril, 84 % des sondés souhaitent que les parents transmettent « le plus de patrimoine possible à leurs enfants » et 77 % trouvent que cet impôt est injustifié. En 2022, un sondage d’Opinionway-Les Echos concluait que 81 % des Français étaient contre une augmentation des droits de succession. Cet impôt est bien plus impopulaire que les autres, selon l’étude.

Combien de personnes reçoivent de gros héritages ?

Ce rejet de l’impôt sur les droits de succession est paradoxal lorsque l’on constate qu’il concerne une minorité de contribuables français. En effet, une personne peut percevoir un héritage sans pour autant être soumise à cet impôt, car des abattements sur les sommes transmises s’appliquent en fonction du lien de parenté entre le défunt et l’héritier.

Le montant de l’abattement atteint 100 000 euros pour un héritage en ligne directe. Par exemple, si un parent transmet 150 000 euros d’actif à son enfant, la taxation ne se fera que sur 50 000 euros. Le barème est ensuite progressif, avec des tranches d’imposition variant entre 5 % et 45 % selon les montants.

Selon l’Insee, en 2018, seulement 14,6 % des parents transmettaient des héritages supérieurs à 100 000 euros et étaient donc soumis à l’impôt sur les successions.

Le montant des abattements varie selon les liens de parents : il est de 15 932 euros pour un frère ou une sœur et de 7 967 euros pour un neveu ou une nièce. Les barèmes sont également plus élevés (35 à 45 % pour les frères et sœurs, jusqu’à 55 % pour une parenté au 4e degré, 60 % dans les autres cas).

Selon l’Insee, sur l’ensemble des héritages transmis (grands-parents, neveux, etc.), la grande majorité (38,7 %) ne dépasse pas 8 000 euros, et seuls 12,9 % dépassent les 100 000 euros.

Comment expliquer cette impopularité ?

Pourquoi tant d’aversion pour augmenter cet impôt qui ne concerne finalement qu’une minorité de Français ? L’Observatoire des inégalités, dans étude de 2022, estime que la formulation des questions pourrait orienter l’opinion des sondés : « D’un côté, [il y a] une formulation simple [de la question] qui parle au cœur, donner à ses enfants. De l’autre, un raisonnement économique abstrait qui n’a rien d’évident. »

L’économiste Guillaume Allègre, qui a publié une étude pour l’Observatoire français des conjonctures économiques intitulée « Droits de succession : pourquoi les économistes ne sont-ils pas écoutés ? », avance une autre explication : « Les individus connaissent mal les caractéristiques de l’impôt sur la succession et surestiment son poids et la probabilité d’être eux-mêmes soumis à cet impôt. (…) Toutefois, cette explication n’est pas suffisante : l’impôt progressif est impopulaire auprès de toutes les catégories sociales », ajoutait-il dans son analyse publiée en 2022.

Le Monde

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Dans la dernière étude d’Odexa, l’une des questions précise aux sondés que « la majorité des successions sont exonérées d’impôt ». Pour autant, 79 % des personnes souhaitent tout de même la baisse de cet impôt sur l’héritage.

Combien cet impôt rapporte-t-il à l’Etat ?

Les barèmes de l’impôt sur les successions sont inchangés depuis 2011. L’inflation depuis plus de dix ans a fait augmenter la valeur des actifs dans le patrimoine des Français. Conjugués, les deux phénomènes ont de facto fait augmenter les recettes fiscales. En 2022, les droits de succession et de donation ont rapporté 18,5 milliards d’euros à l’Etat, contre 8 milliards il y a onze ans. C’est nettement moins que l’impôt sur le revenu (près de 110 milliards d’euros brut) ou que la TVA (près de 273 milliards d’euros).

Selon un rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) de 2021, « l’héritage nourrit une dynamique de renforcement des inégalités patrimoniales dont l’ampleur est beaucoup plus élevée que celles provenant des revenus du travail ». De nombreux économistes, comme Thomas Piketty dans son ouvrage Le Capital au XXIe siècle (Seuil), identifient les successions comme l’une des causes principales des inégalités sociales. Comme le résume l’économiste Nicolas Frémeaux, auteur de Les Nouveaux Héritiers (Seuil), interrogé par Télérama, un « tiers de la population n’hérite de rien, un autre tiers de très peu. En revanche, 10 % des héritiers captent plus de la moitié de l’héritage total ».

Les personnes concernées par l’impôt sur les droits de succession peuvent s’en détacher en usant d’outils juridiques et fiscaux. Ils ont la possibilité d’effectuer des donations de leur vivant, de créer des sociétés civiles immobilières familiales pour transmettre des biens à travers des parts de société, ou encore d’effectuer des démembrements de propriété pour partager et transmettre un bien pour réduire les frais fiscaux. Selon l’estimation du CAE, 40 % du patrimoine transmis échappe par ces divers mécanismes à l’administration fiscale.

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