Chaque été, des dizaines de milliers d’automobilistes s’en remettent à ses conseils pour éviter les bouchons. En France, malgré l’essor ces dernières années des GPS et autres applications d’aide à la conduite, l’information routière reste associée au nom emblématique de son service public : Bison futé.
Mais d’où vient cet étrange appellation, qui n’a a priori pas grand chose à voir avec l’automobile et les trajets routiers ? Pour le comprendre, il faut se plonger brièvement dans l’histoire de l’organisme qui a donné naissance à Bison Futé, le Centre national d’information routière (CNIR).
Centraliser les informations de la police et de la gendarmerie
Créé dans les années 1960 pour accompagner la densification en cours du réseau routier et du parc automobile français, le CNIR est conçu comme une structure permettant d’agréger les informations de la police et de la gendarmerie concernant notamment l’état du trafic et la sécurité routière.
Si son rôle est déjà d’informer les usagers de la route sur les conditions de circulation, ses moyens de traitement et de diffusion de l’information (notamment par le biais de la radio) restent dans un premier temps limités. Il faudra attendre un tragique épisode survenu sur les routes françaises pendant l’été 1975 pour que la situation évolue radicalement.
Un embouteillage monstre aux conséquences tragiques
En pleine canicule, la journée du samedi 2 août 1975 vire en effet au « cauchemar », comme le raconte La Nouvelle République. Le traditionnel chassé-croisé entre les « juilletistes » et les « aoûtiens » donne notamment lieu à d’interminables bouchons sur la nationale 10, reliant Paris à Bayonne et menant vers l’Espagne (à l’époque, aucune autoroute n’existe sur ce trajet).
« Les voitures étaient à l’arrêt sur 600 km entre Paris et la côte basque », décrit dans La République des Pyrénées le polytechnicien Jean Poulit, qui sera nommé à la tête du CNIR à la suite de cette journée noire aux conséquences funestes. Au total, selon La Nouvelle République, cet embouteillage monstre provoque ainsi pas moins de 145 décès, principalement dus aux accidents et à la chaleur.
Les pouvoirs publics sommés d’agir
Cette tragédie d’ampleur nationale émeut évidemment l’opinion publique et la presse de l’époque demande immédiatement des comptes aux pouvoirs publics. Sommés de réagir, les ministères concernés décident d’accélérer les chantiers autoroutiers en cours, mais aussi de repenser complètement la stratégie d’information routière à destination des usagers.
« On m’a dit : ‘Il faut que tu prennes la direction ‘exploitation et sécurité routière’ pour que cela ne se reproduise pas’, témoigne Jean Poulit. Nous avons réalisé un gros travail pour demander à 4 000 personnes le jour et l’heure de leur départ, l’été suivant. Et à notre grande surprise, souvent les gens pouvaient la donner. On a ensuite multiplié par 2,5 les itinéraires Bis. »
Bison futé, « celui qui a du flair et sait se sortir des situations compliquées »
Si la nouvelle direction du CNIR déploie des techniques pour mieux prévoir les bouchons, elle planche aussi sur un tout nouveau système de communication auprès des usagers, qui sera baptisé « Bison futé ». « On a tout envisagé, un marsouin, un albatros, et finalement nous avons opté pour le jeune Indien, explique Jean Poulit, qui a notamment pris conseil auprès du publicitaire Daniel Robert. Il représentait les vacances, la jeunesse. Très vite, tout le monde et tous les acteurs concernés se sont identifiés à lui. Les bouchons ont été divisés par trois dès 1976 ! »
Surfant sur l’imaginaire, en vogue à l’époque, des tribus amérindiennes tel qu’il a été diffusé par le genre cinématographique du western et, en France, par des bandes dessinées à succès comme Lucky Luke ou Blueberry, ce nom accrocheur « incarne à merveille le pisteur, celui qui cherche les meilleurs itinéraires », selon La Dépêche. « Il représente le futé, le rusé, le débrouillard, celui qui a du flair et sait se sortir des situations compliquées », poursuit le quotidien régional.
Prévisions annuelles et informations en temps réel
S’appuyant sur les informations recueillies par les sept centres régionaux d’information routière qui voient le jour au cours des années 1970, Bison futé se déploie sur plusieurs supports, avec notamment dès 1976 l’apparition de la fameuse carte annuelle, qui informe les usagers sur les prévisions de zone de bouchons, mais aussi sur les itinéraires bis.
Bison futé met également en place un calendrier prévisionnel des journées à risque, avec à partir de 1983 une classification par couleur en fonction de la densité du trafic attendu (vert, orange, rouge et noir). En plus de ces prévisions établies à partir d’enquêtes préalables et de calculs savants, l’organisme diffuse aussi des informations en temps réel sur l’état de la circulation, constamment mises à jour par le biais des différents centres régionaux.
Une marque entrée dans l’inconscient collectif français
Répondant de manière efficace à un besoin évident, ce dispositif de service public est rapidement adopté par une grande majorité d’automobilistes comme une source d’information fiable. Comme le précise La République des Pyrénées, Jean Poulit prend soin de déposer la marque « Bison futé », qui s’installe progressivement dans le quotidien des automobilistes, jusqu’à entrer durablement dans l’inconscient collectif hexagonal.
Ainsi, en 2016, lorsque le gouvernement décide de dissoudre le CNIR, dont les missions sont transférées à différentes administrations de direction, il paraît inconcevable d’abandonner la marque Bison futé. Véritable « emblème du service public de l’information routière », ce nom est conservé pour centraliser la communication publique sur les prévisions de trafic. De nos jours, Bison futé reste donc un allié précieux pour permettre aux automobilistes de ne pas passer des heures dans les embouteillages.