samedi, mars 29

Un geste très symbolique. Presque trois mois jour pour jour après le verdict du procès des viols de Mazan, les députés planchent ce mercredi en commission des Lois sur l’inscription du consentement dans la définition pénale du viol.

Si La France insoumise avait déjà porté le sujet en novembre dernier, ce sont cette fois-ci deux députées de bords politiques différents, l’écologiste Marie-Charlotte Garin et la députée Renaissance Véronique, qui portent cette proposition de loi, laissant augurer de sa potentielle adoption la semaine prochaine dans l’hémicycle.

• Pourquoi cette notion revient sur le devant de la scène?

Le Code pénal qualifie de viol « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Si le critère d’absence de consentement est bien présent dans les enquêtes pour viol, notamment lors des interrogatoires, cette notion n’est pas édictée en tant que tel parmi les critères caractérisant ce crime.

Le procès des viols de Mazan, au retentissement mondial, dans lequel Dominique Pelicot était jugé pour avoir violé et fait violer son épouse Gisèle pendant des années sous soumission chimique, a remis le sujet sur la table. Les accusés ont à plusieurs reprises assuré ne pas savoir que la victime était endormie, et qu’elle n’avait pas pu consentir à avoir un rapport sexuel.

En France, « la définition juridique des infractions sexuelles n’est pas fondée de manière explicite sur le consentement libre et non équivoque de la victime », regrettait en 2019 le groupe d’expert du Conseil de l’Europe sur l’action contre la violence à l’égard des femmes (Grevo).

• Pourquoi l’absence de cette notion est préjudiciable pour certaines victimes?

Ce phénomène aboutit, d’après certains juristes, à ce que de nombreuses plaintes soient classées sans suite, faute d’infractions suffisamment caractérisées. L’interprétation des éléments matériels qui définissent le viol en l’état actuel du droit – la violence, la contrainte, la menace et la surprise donc -, ne permettrait pas de couvrir un large spectre de cas caractérisés par un état de sidération de la victime, une situation d’emprise ou encore d’abus de vulnérabilité.

Selon une enquête de victimation menée par l’Insee et relayée par nos confrères du Monde, seulement 0,6 % des viols ou tentatives de viol ont donné lieu à une condamnation en 2023.

Ce chiffre est très faible alors que 60.898 plaintes ont été déposées pour des violences sexuelles la même année suivant un rapport de l’Intérieur.

Selon une enquête de l’institut national de la santé et de la recherche médicale, près de 30% des femmes de 18 à 69 ans déclarent en France avoir subi une tentative ou un acte sexuel forcé.

• Que changerait concrètement la loi?

Concrètement, introduire le non-consentement dans la loi inverserait le déroulement des enquêtes de police. « En droit français, les auteurs bénéficient d’une présomption de consentement de leur victime », explique Catherine Le Maguerresse, docteur en droit et auteur de Pièges du consentement: pour une redéfinition pénale du consentement sexuel auprès du Monde.

« Il serait intéressant de rajouter une couche de sécurité juridique supplémentaire: c’est interdit de toucher aux corps des autres, à moins d’avoir obtenu un accord libre et éclairé « , juge encore cette spécialiste.

Mais l’ajout de l’absence de consentement dans la loi divise profondément les juristes avec la crainte que ce soit désormais à la victime de prouver qu’elle n’a pas consenti à avoir une relation sexuelle.

« Croire qu’il suffit de définir le viol par le consentement pour y mettre fin est illusoire », avance ainsi la philosohe Manon Garcia dans une tribune pour Libération.

La philosophe espagnole Clara Serra Sanchez s’inquiètait, elle, en décembre 2023 dans les colonnes du Nouvel Obs que la définition du viol prenne la forme d’un « contrat » dans les relations intimes.

Les chiffres montrent cependant que le changement de définition a une vraie incidence. En Suède, une loi sur le consentement sexuel, qui considère comme viol tout acte sexuel sans accord explicite, même en l’absence de menace ou de violence, est en vigueur depuis 2018. Conséquence: le nombre de condamnations pour viol a augmenté de près de 75% de 2017 à 2019 dans le pays.

• Qu’en pense la classe politique?

Longtemps réticent sur le sujet, le chef de l’État Emmanuel Macron avait finalement proposé d’inscrire le consentement dans la définition du viol dans le code pénal en 2024. Alors garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti avait, lui, appelé au Sénat « à la prudence » tout en disant « ne s’interdire aucune réflexion sur la question de la définition du viol ».

Ses successeurs Didier Migaud puis Gérald Darmanin ont chacun indiqué être favorable à l’évolution de la loi sur le sujet.

En janvier dernier, la députée Renaissance Véronique Riotton et sa collègue écologiste Marie-Charlotte Garin ont rendu un rapport sur le sujet. Elles estiment nécessaire de maintenir les quatre critères déjà existants dans la définition pénale du viol mais souhaitent donc en introduire un nouveau, celui de non-consentement.

Elles appellent également à ce que la loi explicite les cas où le consentement ne pourrait être déduit en aucun cas comme « le sommeil, l’inconscience, la sidération conduisant au silence ou à une absence de résistance ».

Les députés appellent également à ajouter le critère de « circonstances environnantes » qui figurent dans la convention d’Istanbul, un texte issu du Conseil de l’Europe pour lutter contre les violences faites aux femmes.

Ce critère vise à éviter que les investigations ne se concentrent exclusivement sur la victime mais « davantage sur les agissements de la personne mise en cause au regard en particulier de la situation de vulnérabilité dans laquelle la victime a pu être placée, ou dont l’auteur a profité ».

• Quelle est la suite pour la proposition de loi?

Plusieurs options sont désormais sur la table pour la France. La proposition de la loi étudiée ce mercredi à l’Assemblée devrait arriver dans l’hémicycle dès la semaine prochaine. En cas de forte mobilisation à gauche et à Renaissance, elle pourrait être adoptée dans un format très proche de la volonté des deux rapporteures. Mais LR y est opposé et le RN entretient le flou sur le sujet.

Le gouvernement pourrait également vouloir amender ce texte en se contentant d’introduire dans la définition pénale du viol l’expression « commis sans consentement ». Cette notion, jugée floue par les juristes, ne changerait probablement pas la donne.

Article original publié sur BFMTV.com

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