Les battements d’ailes d’un sphinx du Brésil pourraient déclencher une tornade des saisons plus tard au Texas, selon les tenants de l’« effet papillon ». Les conférences que Virginia Woolf donna en 1928 dans deux collèges pour femmes de Cambridge, réunies en un essai ici intitulé Une pièce à soi, auront de même contribué depuis un siècle à ébranler la définition des rôles sexuels.
Invitée à plancher sur les rapports des femmes et de la fiction, la romancière anglaise comprit, en se voyant refuser l’entrée de la bibliothèque du campus où elle intervenait, qu’elle devait élargir le compas aux relations hommes-femmes et conçut ce texte hors norme, à mi-chemin de l’essai et du roman. C’est lui que la Pléiade nous invite à relire, dans une nouvelle traduction, ainsi que deux romans contemporains, Orlando et Mrs Dalloway, un siècle après leur publication.
Un apartheid tacite que subit la moitié de l’humanité
D’emblée frappe le calme avec lequel l’écrivaine du groupe de Bloomsbury interroge les certitudes étayant le monde victorien. Alors qu’un pamphlet l’aurait immanquablement menée à la confrontation, Woolf se contente de noter, avec une candeur feinte, l’indigence des possibilités offertes aux femmes hors de leur foyer.
À l’exception du brouillard, l’homme semble tout contrôler, dit-elle en vraie Anglaise : comment n’aurait-il pas confiance en lui et comment la femme ne douterait-elle pas d’elle ? C’est un apartheid tacite que subit la moitié de l’humanité, laque […] Lire la suite