Tout semblait écrit à l’avance. Du départ à Rotterdam, aux Pays-Bas, à cette arrivée au sommet de l’Alpe d’Huez (Isère), la « montagne des Hollandais » où se massent traditionnellement des grappes de supporteurs oranje sur le Tour de France. Depuis sa renaissance, l’édition féminine de la Grande Boucle a toujours vu une Néerlandaise s’adjuger le classement général : Annemiek van Vleuten 2022, puis Demi Vollering l’an passé.
La coureuse de 27 ans était la grandissime favorite à sa succession. Après tout, elle a dominé les courses par étapes auxquelles elle a participé depuis le début de la saison. Dimanche 18 août, c’est donc sans grande surprise qu’elle a conclu les vingt et un redoutables lacets de l’ascension emblématique en vainqueure de l’ultime journée de l’épreuve. Une fois le pied posé au sol, ses larmes n’exprimaient pourtant pas la joie : pour quatre secondes, la Néerlandaise voit le maillot jaune lui échapper au profit de Katarzyna Niewiadoma.
Habituée des places d’honneur et des podiums – elle avait terminé troisième des deux derniers Tour de France –, la Polonaise s’est cette fois offert la plus haute marche au prix d’un long duel à distance. Rapidement distancée par Demi Vollering et sa compatriote Pauliena Rooijakkers, Katarzyna Niewiadoma savait que la victoire d’étape n’était pas la priorité, mais qu’elle ne devait pas concéder plus d’une minute et cinq secondes pour espérer conserver sa précieuse tunique jaune.
« Des portes se ferment, d’autres s’ouvrent »
La mission a longtemps semblé impossible. Les deux Néerlandaises ont pris la fuite à 53 kilomètres de l’arrivée et l’écart n’a cessé de grandir. « J’ai passé un très mauvais moment sur le Glandon [l’avant-dernière ascension de la journée], physiquement et mentalement, a expliqué la Polonaise à l’arrivée, au micro de l’organisateur. Puis j’ai réussi à me remobiliser dans la descente, j’ai mangé, je me suis réhydratée, j’ai réussi à me reconstruire et à reprendre confiance en moi. »
Un temps, elle a pourtant virtuellement perdu la tête du classement général. Tandis qu’elle appuyait seule sur les pédales, Demi Vollering et Pauliena Rooijakkers faisaient cause commune en tête de la course et enchaînaient les relais. Le combat avait beau ne pas être très équilibré, il a finalement tourné en faveur de l’outsider dans une fin d’étape qu’elle a, de son propre aveu, « détesté ». « Je devais jouer intelligemment et donner vraiment le maximum dans les cinq derniers kilomètres et j’avais peur de perdre, mais je savais que je pouvais y arriver », a glissé la coureuse de l’équipe Canyon-SRAM Racing.
Certaines mauvaises langues diront que son maillot jaune tient autant à sa combativité qu’à la chute de Demi Vollering lors du final de la cinquième étape, qui lui avait coûté près de deux minutes au classement. « Des portes se ferment, d’autres s’ouvrent. Je ne souhaite jamais de malchance aux autres. Mais ce sont des faits de course, ça peut arriver », a préféré philosopher Katarzyna Niewiadoma.
La victoire après la disette
Cette consécration récompense surtout la régularité de celle qui a joué placée toute la semaine, sans remporter le moindre succès d’étape. Elle illustre aussi assez bien une carrière qui s’est longtemps résumée à une disette de victoires. Le 21 avril 2019, la Polonaise s’adjuge l’Amstel Gold Race. Après ? Elle assiste, course après course, au triomphe d’une autre. Jusqu’au mois d’octobre 2023 où elle remporte les championnats du monde de gravel, avant de lever à nouveau les bras sur route, lors de la Flèche Wallone – l’une des courses d’un jour les plus prestigieuses du calendrier cycliste – en avril de cette année.
Sur le podium du Tour de France, elle est finalement accompagnée de Demi Vollering et Pauliena Rooijakkers, le duo qui lui a mené la vie dure tout au long de la journée. Le mano a mano entre les trois coureuses, qui se tiennent en dix secondes au général à l’arrivée, a forcément concentré l’attention dans les Alpes, rappelant à certains égards ce face-à-face légendaire entre le Français Laurent Fignon et l’Américain Greg Lemond sur la Grande Boucle 1989, ayant abouti au sacre de ce dernier pour huit petites secondes.
Dimanche, Katarzyna Niewiadoma n’était pas la seule à être tout sourire au moment de conclure cette troisième édition. Vainqueure la veille au Grand-Bornand (Haute-Savoie) et encore à l’attaque au début de l’étape du jour, la Belge Justine Ghekiere repart avec le maillot à pois de meilleure grimpeuse, quand la vétérane Marianne Vos, 37 ans, termine avec le vert de meilleure sprinteuse pour la deuxième fois après 2022. A l’opposé dans la pyramide des âges, la Néerlandaise Puck Pieterse célèbre la fin de son premier Tour de France avec un maillot de meilleure jeune, décernée à la première coureuse de moins de 23 ans au classement général.