dimanche, septembre 29

« On l’a fait ! » Karon Davis ne peut réprimer ce petit cri de victoire en déambulant, le 2 septembre, dans la rétrospective que le Das Minsk, un musée privé de Potsdam, en Allemagne, consacre à son défunt mari, Noah Davis, peintre américain à l’immense talent emporté en 2015, à l’âge de 32 ans, par un cancer très rare. A chaque tableau, Karon Davis associe un souvenir. « Il y a un peu de mon ADN dans ces œuvres », lâche-t-elle, en soulignant qu’elle fut aussi l’assistante de son époux. Prenez la toile intitulée Isis, qui tire son nom de la divinité égyptienne gardienne du foyer. Noah Davis l’a peinte en 2009 en s’inspirant d’une photo d’elle devant leur première maison, à West Adams, au sud de Los Angeles. « J’avais levé les bras et Noah s’est exclamé : “Reste là ! Tu es Isis” », raconte-t-elle.

Elle a le cœur gros face au poignant Painting for My Dad, que Noah Davis a réalisé en 2011 à la mort de son père, où il se représente en jeans et tee-shirt, les épaules ­voûtées, de dos face au néant, comme debout entre deux mondes. La composition fait penser aux tableaux de Caspar David Friedrich, le peintre romantique allemand du XIXsiècle, connu pour ses personnages plongés dans une profonde mélancolie et ses paysages surgissant de la brume. Rarement le thème du deuil aura été illustré avec autant de force.

Pour beaucoup, l’exposition au Das Minsk est une révélation. Et comme elle tournera en 2025 au Barbican Centre, à Londres, puis au prestigieux Hammer Museum, à Los Angeles, c’est le présage d’une reconnaissance mondiale que Noah Davis avait vainement espérée de son vivant. « Il se savait visionnaire, en avance sur son temps, confirme son épouse. Il disait souvent, même avant sa maladie : “Quand je ne serai plus là, mon œuvre me survivra.” »

Rien ne manque aujourd’hui pour faire de son destin une légende : une mort foudroyante, une œuvre brève mais foisonnante, séduisante par ses harmonies colorées, figurative, donc accessible et énigmatique à la fois. Et, plus que tout, un puissant marchand d’art, David Zwirner, qui depuis quatre ans a pris la succession sous son aile et catapulté ses prix à des niveaux stratosphériques, de 500 000 à 3 millions de dollars (de 447 500 à 2,4 millions d’euros).

Pour ce faiseur de rois, il ne s’agit pas de faire de Noah Davis un nouveau Jean-Michel Basquiat, peintre noir et coqueluche des eighties, mort d’une overdose en 1988 à l’âge de 27 ans. Nées à vingt-trois ans d’écart, les deux comètes de l’art sont aux antipodes. Ce n’est pas la rage mais le spleen que Noah Davis imprimait sur la toile, quand chaque coup de pinceau de Basquiat se voulait un coup de poing. Moins tourmenté que son aîné dévoré par ses addictions, le jeune Californien cultivait l’aura du chef de famille et du fédérateur de tribu.

Il vous reste 81.66% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version