Majorque attire près de 20 millions de touristes par an grâce à ses nombreux hôtels et ses prix raisonnables.
Un paradis pour les vacanciers, mais un enfer pour les habitants qui n’arrivent plus à se loger.
Une équipe de « Sept à Huit » s’est rendue sur l’île méditerranéenne.
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Sept à huit
Majorque, l’une des îles stars des Baléares et de la Méditerranée, accueille chaque année quelque 20 millions de vacanciers venus du monde entier, mais compte, elle, un million d’habitants. En conséquence de quoi, comme le montre le reportage sur place de « Sept à Huit » diffusé ce dimanche 1ᵉʳ septembre, à retrouver dans la vidéo en tête de cet article, les locaux ont manifesté plusieurs fois cet été, par dizaines de milliers, pour dénoncer les excès du tourisme et les conséquences sur leur quotidien. « Votre luxe, notre misère », pouvait-on notamment lire sur les pancartes brandies.
Cette économie nourrit et asphyxie Majorque à la fois : si le tourisme représente la moitié du PIB de l’île, dans la seule baie de Palma, la capitale, plus de 800 hôtels s’entassent les uns sur les autres, tandis que le même nombre de paquebots de croisière y accoste chaque année. Son aéroport est le plus saturé d’Europe, à hauteur d’un vol et 100 passagers par minute, la saison touristique s’allongeant désormais bien au-delà de l’été. En parallèle, on y construit l’équivalent de 200 terrains de football de logements de luxe, accessibles aux touristes ou aux télétravailleurs, mais plus aux habitants.
Dans les rues de Palma, les enseignes de cheese-cakes et de matcha latte remplacent les bars typiquement espagnols, tandis que des stations balnéaires bétonnées reçoivent des charters entiers de jeunes Européens en quête de fast-foods américains, qui font leurs courses dans des commerces qui n’ont plus grand-chose de local. Les locaux, eux, ont été contraints de s’exiler.
On en retrouve un certain nombre en périphérie de la capitale, où les caravanes pullulent à présent, bien que toutes stationnées illégalement sur la voie publique, Majorque n’ayant pas de camping. « On s’habitue, tout est à portée de main. C’est un quotidien réduit à huit mètres carrés », témoigne Javier, un retraité divorcé de 67 ans, autrefois chauffeur-livreur pour des hôtels, ayant perdu sa maison il y a trois ans et qui a investi 20.000 euros dans l’achat de son camping-car.
« Tous les gens qui vivent ici sont chauffeurs de taxi ou d’autocar, livreurs d’eau, employés de l‘hôtellerie ou la restauration, tous ces travailleurs dont une île touristique a besoin au quotidien, note le sexagénaire. Les autorités nous disent de nous mettre en colocation dans des appartements, mais je touche 600 euros de retraite, et la moindre chambre en colocation coûterait 450 euros… Je voudrais vivre en paix dans une maison normale, rien de plus. Il ne me reste pas tant d’années à vivre et c’est sûr qu’un peu de confort, ça pourrait prolonger un peu ma vie. »
Ceux qui sont restés à Palma sont, en grande majorité, des travailleurs immigrés, constituant 40% des employés du tourisme à Majorque. La caméra de TF1 montre où beaucoup vivent : en l’occurrence, les caves d’un immeuble de huit étages, où près de 60 chambres sans fenêtre ni ventilation, aux installations électriques précaires et dangereuses, dans les odeurs d’urine et sous l’eau qui tombe continuellement du plafond, ont été aménagés par des marchands de sommeil. Ces derniers sont souvent des policiers locaux, qui louent ces logements au noir, 600 euros par mois. « Ce sont vraiment les conditions les plus horribles qu’on puisse imaginer », s’exclame Rena, 65 ans et toujours femme de ménage dans des hôtels, pour pouvoir régler ce loyer illégal.
« Vers quoi se dirige la culture européenne ? »
Dans les villages éloignés de la capitale, même problématique. Oriol, boulanger, n’arrive plus à loger sa famille de quatre enfants. Son bail expire dans deux mois et il craint de devoir fermer son établissement, comme le boucher il y a peu, alors que deux agences immobilières, affichant des annonces aux prix stratosphériques, ont ouvert dans le même temps.
« La vente de maisons a explosé. Le tourisme saisonnier locatif, aussi. Résultat : pour un propriétaire, c’est beaucoup plus rentable de louer à des vacanciers l’été plutôt qu’à un local à l’année. Une maison, l’été, se loue minimum 1.000 euros la semaine. Nous, c’est ce qu’on peut payer pour un mois. Il y a cinq ans, une maison se louait 500 euros par mois », indique-t-il. Avant de laisser ainsi éclater sa colère : « Maintenant, acheter une maison coûte deux ou trois millions d’euros. Qui peut payer autant ? Quel futur préparons-nous ? Pourquoi faisons-nous des enfants ? Où allons-nous ? On leur dessine quoi, à nos enfants, comme idéal de vie ? C’est ça qui me préoccupe, au-delà même de la question de mon logement. Si besoin, on déménagera, mais c’est une question plus profonde, de modèle social. Vers quoi se dirige la culture européenne ? »
À quelques kilomètres de là, Lucia s’est reconvertie. Auparavant responsable des ventes dans une chaîne d’hôtels, elle dirige aujourd’hui « Cleanwave », fondation écologiste locale qui a déjà obtenu l’interdiction de fumer sur 15 plages de Majorque, sous peine d’une amende de 2.000 euros. Chaque fin d’été, le littoral de l’île se retrouve jonché de jouets nautiques bon marché que les touristes ne rapportent pas chez eux. Un plastique qui finit en mer et dans les poissons…
On retrouve Lucia en train d’animer un atelier de nettoyage de déchets devant un petit groupe composé de volontaires locaux… et de touristes. « Chacun de nous mange l’équivalent de 12 cartes de crédit en plastique par an, à travers les aliments qu’on consomme », leur explique-t-elle, tout en distribuant des gourdes, parce qu’« à Majorque, la consommation de bouteilles d’eau en plastique est d’1,5 million par jour. C’est six fois plus que dans le reste de l’Espagne. Si nous tous, à dix, utilisons une gourde, ça économisera 6.000 bouteilles en plastique par an ».
Toni Salas, lui, est membre du conseil touristique du gouvernement local, qui a proposé il y a quelques mois d’interdire aux étrangers d’acheter un logement sur l’île s’ils n’y résident pas depuis au moins cinq ans. Un projet que l’Union européenne a finalement retoqué… Las, il a constaté les limites des initiatives majorquines. Et insiste : « S’il faut prendre des mesures drastiques, limiter la circulation des biens, des personnes et des avions, ou s’il faut réguler les achats de résidences par les étrangers, ça devra passer par le Parlement européen ou par le gouvernement espagnol. »