dimanche, septembre 22
Seul portrait de Pocahontas (ici nommée Matoaka) de son vivant, gravure de 1616, impression de 1793.

« Pocahontas au pays des merveilles » (Der Pocahontas Komplex. 1. PO. Pocahontas in Wonderland. Shakespeare on Tour), de Klaus Theweleit, traduit de l’allemand par Christophe Lucchese, préface de Claro, L’Arche, « Tête-à-tête », 764 p., 27 €.

Pour bien des lecteurs d’aujourd’hui, le nom de Pocahontas reste associé à un dessin animé de 1995 célébrant les amours romantiques d’une princesse algonquine et d’un aventureux capitaine britannique répondant au nom de John Smith, à l’orée du XVIIe siècle, alors que commence la colonisation de la Virginie – nommée en l’honneur de la virginité de la reine Elisabeth Ire, aux ambitions impériales.

Mais le sociologue et écrivain ­allemand Klaus Theweleit entend démontrer que l’histoire de la jeune Indienne (de son vrai nom Matoaka-Amonute, 1595-1617) constitue avant tout l’un des grands mythes fondateurs de l’Occident moderne et prémoderne. Ainsi, l’épisode le plus saillant du récit, le sauvetage in extremis d’un Smith captif de sa tribu, Pocahontas obtenant la grâce de l’Anglais auprès de son père, le chef Powhatan, n’a-t-il peut-être jamais eu lieu.

Auteur prolifique, Theweleit ne consacre pas moins de quatre tomes à cette quasi-légende, dont le premier, Pocahontas au pays des merveilles, paru en allemand en 1999, est traduit aujourd’hui sous une forme actualisée. L’ouvrage synthétise, interprète et décortique la moindre veine d’une anecdote pleine de promesses de coexistence pacifique entre peuples autochtones et colons. Une promesse qui, à force d’être non tenue, aurait migré, de siècle en siècle, dans la littérature et dans une iconographie dense, que l’on retrouve à chaque page du livre.

Ecriture étourdissante

Car l’auteur mobilise des flots d’érudition sans jamais reculer devant les digressions ni les répétitions. Celles-ci se révèlent souvent précieuses pour ceux qui manquent de familiarité avec le règne de Jacques VI d’Ecosse et Ier d’Angleterre (1566-1625), sous le sceptre duquel commence l’installation des Britanniques en Amérique du Nord. De cette écriture étourdissante, tant elle fait s’entrechoquer des univers et des époques dissemblables, une thèse se dégage, qui s’appuie sur le mariage de la réelle Pocahontas, non avec Smith, mais avec un certain John Rolfe, pionnier de l’exploitation d’un tabac virginien dont les effets, selon Theweleit, préfigurent en son temps nos ivresses numériques.

Ces noces, ainsi que la conversion de l’Algonquine, suivie d’une visite en Angleterre, où elle finira ses jours, seraient autant de symboles d’une voie non empruntée, celle du métissage. La brève rencontre de l’Amérindienne avec Smith, parce qu’elle ne débouche pas sur une liaison, montre que la colonisation du Nouveau Monde se voue d’emblée à la violence et au refus de la mixité. A l’inverse, l’union de Rolfe avec Pocahontas montre que la purification ethnique était évitable. La persistance du mythe atteste du reste que cette seconde option n’a pas été évacuée, au moins des esprits et des sensibilités esthétiques.

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