Brisons le suspense d’emblée : Nicolas Sarkozy n’obtiendra pas le prix de Nobel de littérature avec Journal d’un prisonnier. Car effectivement, ce livre qui sort ce mercredi 10 décembre chez Fayard ne brille ni par son style ni par les informations qu’il délivre. Il est vrai qu’avec 213 pages pour trois semaines d’incarcération, l’ex-chef de l’État aurait difficilement pu produire autre chose que ce laborieux festival de lapalissades sur la prison.
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Rendez vous compte : il se trouve que l’incarcération est une expérience difficile. Les bras nous en tombent. Plus que les rapports accablants remis chaque année dans l’indifférence, il fallait bien ces longues pages de lamentations sarkozystes pour le réaliser.
On en oublierait presque que Nicolas Sarkozy a été ministre de l’Intérieur, et qu’il multipliait les déclarations chocs sur le prétendu laxisme du système judiciaire et carcéral. Mais voilà, une fois entre les quatre murs d’une cellule, la perception change. Au point de constater l’évidence lorsque ses proches viennent lui rendre visite : « Je ressentais physiquement la différence qui existait désormais entre les autres et moi. Ils pouvaient quitter la prison, moi non ». Bouleversant.
La foi du prisonnier
Mais au-delà d’un contenu d’une richesse toute relative (déjà largement relaté dans la presse), le livre dresse une toile de fond idéologique qui correspond parfaitement à l’écosystème médiatique dans lequel il s’épanouit : celui du groupe Bolloré. Publié chez Fayard, passée sous le giron du milliardaire breton et multipliant désormais les sorties de tout ce que l’extrême droite cathodique compte de plumes (d’Éric Zemmour à Jordan Bardella en passant par Philippe de Villiers), l’ouvrage repose sur trois piliers intellectuels épousant la croisade menée par cet empire médiatique.
Le premier d’entre eux : la foi catholique. Se disant injustement condamné et jeté au cachot, Nicolas Sarkozy multiplie les références religieuses et les marques d’une piété retrouvée à l’épreuve de l’emprisonnement. Une « conversion subite », souligne-t-il page 83. La météo clémente le jour de son incarcération ? « Un signe de la Providence ». Un match du PSG programmé le soir même ? « Un autre signe de la Providence ». Pratique. Car qui d’autre à part un innocent (si multicondamné soit-il) se retrouverait ainsi entouré de manifestations divines ?
« Dans cette atmosphère désespérante autant que menaçante, j’ai soudainement éprouvé le besoin de m’agenouiller au bord de mon lit. J’ai prié », écrit-il dès la 45e page de son récit, avant de raconter ses entrevues régulières avec l’aumônier de la Santé, avec lequel il dit avoir communié « avec une certaine ferveur ». Voilà qui colle parfaitement avec l’offensive religieuse menée sur les antennes de Vincent Bolloré. Le retour de la foi face à la « haine » de la justice des hommes, forcément politisée et forcément de gauche : du miel aux oreilles du milliardaire conservateur, qui a aussi dû adorer la référence aux « racines chrétiennes de la France » mentionnée page 172.
Extrême droite et réalité parallèle
Outre ce volet spirituel destiné à vendre un destin forcément sacrificiel, Nicolas Sarkozy embrasse un autre aspect de la bataille culturelle menée par le magnat breton : l’union de la droite et de l’extrême droite. Certes, l’ex-chef de l’État ne va pas jusqu’à évoquer « l’union des droites » telle que la rêvent certains, mais il s’appliquer à délivrer, avec une implication non feinte, un certificat de dédiabolisation au RN et à Marine Le Pen, auprès de laquelle il assure avoir juré qu’il s’engagerait publiquement à tailler en pièces le front républicain au prochain rendez-vous électoral. Nicolas Sarkozy écrit également que sa famille politique ne pourra pas gagner sans un « rassemblement le plus large possible » et ce « sans exclusive et sans anathème ».
Car, selon l’ex-chef de l’État, les Français « supportent de plus en plus difficilement les outrances de La France insoumise et le “cordon sanitaire factice” autour d’un Rassemblement national qui ne constitue pas un danger pour la République ». Un constat qui a de quoi faire tousser les gaullistes de l’ex-UMP, lorsqu’on se souvient qu’une actuelle porte-parole du RN écrivait encore récemment des textes à la gloire Jean-Bastien-Thiry, colonel tristement célèbre pour avoir organisé l’attentat du Petit Clamart en 1962.
Enfin, et conformément à sa ligne de défense dans tous les procès qu’il a dû affronter, l’ancien président de la République persiste dans l’assertion de réalités alternatives. Ainsi, Nicolas Sarkozy s’échine à répéter que tout est parti d’un « faux » publié par Mediapart, ce qui ne correspond pas aux conclusions de la justice. Il récidive à présenter sa Légion d’honneur par son rôle joué dans l’affaire Human Bomb, ce qui est une légende. Il s’obstine à se dire victime d’un complot judiciaire ourdi par une « haine » irrationnelle dont il ferait l’objet, sans citer la moindre preuve ni les autres affaires dans lesquelles il a été condamné définitivement. C’est beau comme du Pascal Praud, cet éditorialiste qu’il prend soin de remercier page 78, tout comme l’autre star de CNews, Laurence Ferrari, pour leurs billets enflammés contre la justice.
Dans cette litanie d’élucubrations complotistes, le passage le plus dérangeant en la matière est sans doute celui consacré à la comparaison qu’il fait de ses 21 jours d’incarcération avec l’affaire Dreyfus. « Certes, je n’ai pas été relégué sur l’île du Diable dans la lointaine Guyane. Sur ce point, j’ai eu bien davantage de chance que lui », ose-t-il. Soit l’ultime démonstration d’un penchant pour les réalités parallèles qui, sur ce point, touche à l’outrage historique. Surtout lorsque l’on lit ceci à la page 127 : « Je ne suis pas un homme qui aime se plaindre, qui cherche à apitoyer ou à susciter la commisération ». Qu’est-ce que ce serait si tel avait été le cas…
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