lundi, novembre 25

« Papy Paul » est décédé en juin 2018, à 93 ans, d’une infection pulmonaire. Paul Pradier est alors incinéré en Vendée, là où il avait choisi de finir ses jours, et où tout le village des Herbiers l’appréciait. Bien, bien loin de la condamnation à mort qui l’attendait pourtant à Périgueux puis Bordeaux à la sortie de la seconde Guerre mondiale, pour punir sa participation active à la police nazie et à d’intenses dénonciations de juifs.

L’histoire, rocamblesque autant que déroutante, est racontée par Frédéric Albert dans un livre, « Le dernier Gestapo », après des années d’enquêtes. Intrigué par un passé mystérieux que Paul Pradier évoquait très peu, cet habitant du village considérait le vaillant retraité comme un ami très proche de la famille. Jusqu’à la découverte de ses lourds méfaits auprès du Parti Populaire Français, un parti d’extrême droite œuvrant jusqu’en 1945.

Lorsqu’il s’installe en Vendée en 2006, à 82 ans, les habitants du village des Herbiers ignorent tout du sinistre passé de Paul Pradier, raconte Paris Match. Considéré comme « énergique, jovial, le cœur sur la main et un sourire plein de bonté », le vieux monsieur d’1m60 connaît tout le monde, arpente le bar du coin, fait sa promenade quotidienne en achetant Valeurs actuelles et le Figaro.

Depuis la fin de la guerre, il a même pris l’habitude de côtoyer d’anciens résistants. Pendant 25 ans, il travaille d’abord à l’auberge de Regain, dans le Luberon, un établissement anti-pétainiste géré par un ancien résistant qui cachait des familles juives. Puis en Vendée, c’est auprès des époux Albert, les parents de Frédéric, qu’il trouve un logement temporaire, des conseils, de la bienveillance. Marcel est maire des Herbiers pendant 18 ans, sa femme et lui sont « deux esprits résistants » et font de Paul Pradier un véritable proche.

Mais ils savent très peu de lui : il est né à Montagrier, en Dordogne, a été « livreur, chauffeur de maître ». Célibataire et sans enfants, le retraité « élude les questions personnelles ». Il y a bien cette femme de Montagrier qui un jour de 2009, alors qu’il récupère un héritage chez le notaire, reconnaît en lui « un fantôme surgi du passé », une vision qui « lui glace le sang ». Mais pour le reste, Paul Pradier vit au grand jour et sans être reconnu pendant des décennies, jusqu’à son décès en 2018.

Un « sadique », qui infiltre les résistants et fait déporter des dizaines de Juifs

Après l’incinération de celui qu’on surnomme « Popaul » au village, Frédéric Albert, le fils des époux Marcel et Régine, et qui lui-même connaissait bien le retraité, décide d’enquêter. Il peine à comprendre pourquoi un neveu de Paul Pradier a évoqué au téléphone un personnage « cruel, cynique, redoutable crapule, sadique », évoquant de surcroît la case prison.

En plein Covid, l’homme âgé de 50 ans finit par fouiller dans les archives départementales de Bordeaux. Il découvre ainsi « le milicien Paul Pradier, originaire de Montagrier ». Un milicien âgé de 19 ans, agent numéro 302 de la Gestapo, la police de sécurité de la SS. « C’est l’engagement le plus total et le plus abouti dans la collaboration (…) des fanatiques, opportunistes, âpres au gain », rapporte l’historien spécialiste Patrice Rolli à Paris Match.

À cette époque, le jeune agent nazi œuvre en Dordogne, intègre le Parti Populaire Français ; son dossier rapporte effectivement un homme « cruel, cynique, sadique ». En un an, il dénonce, exécute ou fait déporter « quelques dizaines de ses compatriotes », dont un adolescent au motif qu’il « désirait sa petite amie ». Quand Paul Pradier ne se pavane pas au sein de la milice à Périgueux, il est habillé en civil, infiltre des groupes de résistants pour mieux les dénoncer ou distribue des tracts pro-Armée rouge pour mieux menotter ceux qui les acceptent. Un travail qui lui vaut d’être récompensé par le PPF pour « son activité contre la résistance et son courage » et de toucher 60 000 francs de la Gestapo.

Alors que la fin de la guerre approche, en août 1944, le collaborateur dévoué fuit Périgueux, qui le condamne à mort par contumace, pour rejoindre l’Allemagne. Il rentre en France mais est arrêté à Strasbourg. Il est à nouveau condamné à mort à Bordeaux, qui transforme sa peine en « travaux forcés à perpétuité ». Au terme de 10 ans de prison, son jeune âge et sa bonne conduite en détention lui permettent d’être libéré en 1955. « Seule sa mère acceptera de le revoir », clôt Paris Match.

Pour Frédéric Albert, qui témoigne également auprès de Sud Ouest, son livre « est une réparation pour (s)a famille et pour les victimes de Paul Pradier. Juridiquement, il a payé sa dette à la société. » Mais au village des Herbiers, parler de lui procurera désormais toujours un sombre sentiment de trahison.

Partager
Exit mobile version