dimanche, octobre 13

Des feuilles de salade synthétiques fabriquées en usine, du poulet reconstitué à partir d’une pâte moulée et peinte comme dans le film L’Aile ou la cuisse… Alors que la population mondiale devrait passer de 8 à près de 10 milliards d’individus en 2050 et que les conséquences du changement climatique devraient s’accentuer dans les prochaines années, que trouveront les Français et Françaises dans leur assiette dans 25 ans?
Des repas en comprimés, comme le laissait entendre pour le début du XXIe siècle un reportage de l’ORTF? « On a souvent imaginé que l’on mangerait un jour, dans le futur, des gélules », s’en amuse pour BFMTV.com Jean-Michel Lecerf, médecin nutritionniste et membre de l’Académie d’agriculture de France. « Ce qui n’est pas complètement faux compte tenu de la quantité de compléments alimentaires qu’on trouve sur le marché. » Mais il ajoute:

« On n’en est pas encore là ».

« Notre assiette va changer, oui, mais il ne faut pas s’attendre à des révolutions gastronomiques ou à l’apparition d’aliments qui n’existeraient pas encore », approuve pour BFMTV.com Sylvain Doublet, responsable bioressources et prospective à Solagro, une association qui encourage la gestion durable des ressources naturelles.

• Des fruits exotiques cultivés en métropole?

Alors que Météo France prévoit pour 2050 une hausse des températures moyennes de 0,6 à 1,3 °C, une augmentation du nombre de jours de vagues de chaleur en été et une diminution du nombre de jours anormalement froids en hiver, pourrait-on envisager la culture de fruits exotiques en métropole? En Italie, certains agriculteurs se sont déjà tournés vers la culture d’avocats, goyaves et fruits de la passion.

Si de nouveaux fruits font en effet leur apparition dans les champs français, notamment en Normandie, « on ne s’attend pas à ce que la France métropolitaine devienne un pays producteur de bananes, d’oranges, de mangues, d’aloe vera ou de pistaches, ça restera marginal », balaie Sylvain Doublet, de Solagro. Car si les effets du changement climatique vont s’accélérer, « il faut aussi s’attendre à une augmentation de la fréquence des événements extrêmes ».

Ainsi, si la viticulture commence à remonter dans la moitié nord du pays des Hauts-de-France à la Bretagne, « on n’en est pas encore à faire pousser des oliviers à Orléans », explique à BFMTV.com Yannick Fialip, président de la Chambre d’agriculture de la Haute-Loire ainsi que de la commission économique nationale de la FNSEA. Car même si les températures augmentent, avec les hivers de plus en plus doux, « la végétation redémarre plus tôt au printemps ». Conséquence: « Des gelées tardives peuvent détruire toute la production ».

Des aléas climatiques auxquels les cultures traditionnelles -blé, orge et maïs, les trois céréales les plus cultivées en France- seraient davantage capables de résister. « Ces cultures restent adaptées au climat français, même celui du futur », abonde Sylvain Doublet, de Solagro.

D’autant qu’il reste difficile pour les agriculteurs de savoir avec certitude vers quelles cultures se tourner. « Les années 2020 et 2021 ont été très sèches, contrairement à 2024 », compare Yannick Fialip, également producteur de lait et de viande de brebis. « Ce qui interroge sur les choix de semences. » Il cite le cas du tournesol qui a manqué de soleil cette année. « On est en train de le récolter mais les graines germent sur la plante à cause de la pluie. »

• Et les algues?

À défaut de fruits exotiques, les algues présentes sur les côtes métropolitaines pourrait-elles être exploitées? Différentes entreprises se sont déjà spécialisées dans la transformation de micro-algues pour l’industrie alimentaire. « Elles ont des propriétés intéressantes, riches en fibre, en oméga 3, en iode », remarque le médecin Jean-Michel Lecerf.

« Mais attention, toutes les espèces d’algues ne sont pas comestibles et certaines sont trop riches en iode », met-il en garde. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation a en effet alerté contre le risque d’excès d’apport en iode avec la consommation d’algues.

L’autre difficulté, c’est le coût. « Les algues contiennent beaucoup d’eau », détaille Sylvain Doublet, de Solagro. « Il faut les sécher, ce qui coûte extrêmement cher à valoriser. Aujourd’hui, il n’y a que l’industrie cosmétique qui peut se payer des algues. »

• Moins de viande?

« Ce qui est certain, c’est que notre assiette sera plus végétale », prédit pour BFMTV.com Alba Departe, coordinatrice alimentation durable du service agriculture, forêts et alimentation de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Une tendance déjà observée aujourd’hui: les Français mangent en effet moins de viande. En 2023, cette consommation a baissé de 1,7% en moyenne par habitant, selon un rapport du ministère de l’Agriculture.

D’après les différents scénarios imaginés par l’Ademe, la consommation de viande devrait ainsi baisser d’au moins 10% en 2050 par rapport à 2015, « voire jusqu’à 70% dans le scénario le plus sobre », poursuit Alba Departe. Autre évolution à venir: la viande ne devrait plus être considérée comme un élément central de l’assiette, mais réduite à un simple ingrédient.

« On va de moins en moins avoir une pièce entière de viande pour le repas. Elle sera davantage disséminée et diffuse dans une préparation. »

Une orientation que confirme Céline Laisney, directrice d’AlimAvenir, un cabinet de prospective en alimentation. « La viande ne va pas disparaître », affirme-t-elle à BFMTV.com. « Oui on va manger moins de viande, mais de la viande de meilleure qualité », devine-t-elle, annonçant une dynamique similaire à celle du vin. Entre 1960 et 2022, la consommation française moyenne de vin a chuté de plus de 60% alors que huit bouteilles achetées sur dix valent plus de 10 euros.

Quid de la viande artificielle? Si Singapour et les États-Unis ont approuvé la production et la vente de viande de poulet de synthèse -ou in vitro- ce n’est pas encore le cas au sein de l’Union européenne. Un scénario qui relèverait davantage de la « science-fiction » pour les experts interrogés. Sans compter qu’il n’est pas certain que le bilan carbone de cette viande cultivée en laboratoire soit meilleur. Des études ont en effet pointé un potentiel impact énergétique et environnemental supérieur à l’élevage sur le long terme.

• De nouvelles protéines?

Si la consommation de viande d’origine animale devrait diminuer, la tendance est inverse pour les légumineuses, les protéines d’origine végétale. Fèves, pois chiches, pois cassés, haricots secs, lentilles… « Selon les scénarios que nous avons établis, c’est une multiplication par deux à cinq de ces protéines végétales », précise Alba Departe, de l’Ademe.

Autre nouveauté à laquelle s’attendre: la fabrication à l’échelle industrielle de protéines obtenues à partir de micro-organismes et de mycoprotéines (c’est-à-dire à partir du mycélium de champignon) fermentés puis réduites en poudre. « C’est un procédé très prometteur », note Céline Laisney, du cabinet AlimAvenir. Certains de ces substituts de viande à base de mycoprotéine existent déjà, déclinés en cubes, haché, sticks, filets, et commercialisés dans certains pays de l’Union européenne dont la France.

« On va avoir de plus en plus de substituts réalistes à la viande mais aussi au poisson, aux produits laitiers, aux œufs. » Des substituts de plus en plus « perfectionnés », remarque cette experte des tendances alimentaires, tant au niveau du goût que des textures. « Même des fromages affinés », pointe Céline Laisney.

Des protéines d’un nouveau genre pourraient également nourrir les humains d’ici 2050. En l’occurrence des protéines cultivées à partir de micro-organismes et de CO2. Une usine a même été construite en Finlande pour la production de cette protéine appelée « solein ». « C’est futuriste », reconnaît Céline Laisney, spécialiste des tendances alimentaires. « Mais cela signifierait qu’il serait possible de produire des protéines sans terres agricoles, sans végétaux. »

• Des insectes?

Alors que l’élevage est à l’origine de 12% des émissions de gaz à effet de serre, que la ressource en eau douce disponible tend à se raréfier sous l’effet du changement climatique et qu’il faut entre 550 à 700 litres d’eau pour produire 1 kg de viande de bœuf -rappelle l’Inrae- nos assiettes seront-elles garnies de galettes de criquets?

Selon un sondage Yougov réalisé en 2021, un Français sur quatre accepterait de consommer de la nourriture dont les ingrédients contiennent des insectes. Pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui recense « pas moins de 1900 espèces d’insectes comestibles consommées dans le monde », les insectes sont bel et bien une alternative durable aux protéines animales.

Dans un monde aux ressources limitées, la FAO met en avant un argument économique de poids: « Les grillons ont besoin de six fois moins de nourriture que les bovins, quatre fois moins que les moutons et deux fois moins que les porcs et les poulets pour produire la même quantité de protéines ».

Une étude publiée en 2020 dans le NFS Journal a par ailleurs conclu que la qualité nutritionnelle des insectes comestibles était « équivalente et parfois supérieure à celle des aliments d’origine animale ». L’avenir de la protéine serait-il dans le steak de grillons? « Les perspectives en termes de formulation sont immenses », s’enthousiasme pour BFMTV.com Christophe Derrien, secrétaire général de la Plateforme internationale de la production d’insectes pour l’alimentation humaine et animale (Ipiff).

L’Union européenne a pour le moment délivré six autorisations pour quatre insectes dans l’alimentation humaine: le ver de farine (la larve du ténébrion meunier, un coléoptère), le petit ver de farine (la larve du petit ténébrion mat, une autre espèce de coléoptère), le grillon domestique et le criquet migrateur. Treize autres demandes d’autorisation sont en cours d’examen par l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Mais la population ne semble pas encore convaincue.

En France, chaque année, 1.000 tonnes de produits à base d’insectes sont mis sur le marché. « La production reste relativement marginale », reconnaît Christophe Derrien, de l’Ipiff, bien que certains marchés spécifiques, comme les compléments alimentaires pour les sprotifs, « continuent à se développer », ajoute-t-il.

Selon le même sondage Yougov, moins d’un Français sur cinq se dit prêt à consommer des insectes cuisinés entiers. Et pour l’heure, en France, « la consommation directe d’insectes reste anecdotique », nuance Alba Departe, de l’Ademe. « Il y a encore beaucoup de freins culturels. »

« Les comportements et les pratiques alimentaires sont tellement ancrés culturellement que cela met du temps à changer. En réalité, 2050, ce n’est pas si lointain. »

Article original publié sur BFMTV.com

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