dimanche, mai 19

LETTRE DE RIO DE JANEIRO

La décharge de Jardim Gramacho, à Rio de Janeiro, le 15 mai 2012.

« Vous entendez ce bruit ? Comme une pluie qui tombe ? » Vêtu d’un gilet multipoche, Mario Moscatelli, un biologiste de 59 ans, pointe du doigt une flaque d’eau au milieu d’un labyrinthe de racines arc-boutées de palétuviers. « Ce sont des crabes qui filtrent l’eau avec leurs bronches ! » Entendant les pas des visiteurs s’approcher, des dizaines de petites carapaces rougeâtres émergent soudainement de l’eau avant de disparaître à nouveau dans des trous creusés dans la boue.

Pour le scientifique, cette scène relève du « miracle » : quand il a commencé à restaurer ces 130 hectares de mangrove à Jardim Gramacho, un quartier dans le nord-ouest de Rio de Janeiro, en 1997, personne ne pensait que les arbres pousseraient. Pendant trente-quatre ans (entre 1978 et 2012), ce site qui borde la baie de Guanabara a accueilli la plus grande décharge à ciel ouvert d’Amérique latine : quelque 9 000 tonnes de déchets provenant de toute la ville y étaient déversées quotidiennement.

La montagne d’ordures, de 60 mètres de haut, étouffait la flore locale et polluait la baie de Guanabara. Le 3 juin 2012, dix jours avant la tenue à Rio de Janeiro du sommet des Nations unies sur le développement durable, Eduardo Paes, le maire de la ville – il est de retour aux affaires depuis 2021 –, avait finalement décidé de mettre fin à ce « crime environnemental ». La décharge a ainsi été définitivement fermée.

Depuis, la nature revit. « Les arbres poussent à toute vitesse !  », se réjouit M. Moscatelli, levant les yeux vers les cimes de la mangrove qui culmine à 9 mètres de haut. Le feuillage touffu et les racines rebelles des palétuviers offrent un nouvel habitat à de nombreuses espèces. Outre les crabes, des empreintes sur la boue témoignent du passage de hérons. Profitant de la marée basse, des petits oiseaux bruns appelés « maçarico » font une halte sur la berge du marécage avant de reprendre leur envol vers d’autres contrées.

Promesses non tenues

La bataille pour la restauration des lieux n’est pas gagnée pour autant. En témoigne un nuage de fumée grise qui s’élève à une centaine de mètres à peine du site de l’ancienne décharge. « Ce sont des dépôts qui brûlent des ordures », s’inquiète M. Moscatelli. Suite à la fermeture du « lixao » (la « grande poubelle ») de Jardim Gramacho, de nombreuses déchetteries clandestines sont apparues dans le bidonville qui l’entoure.

Les quelque 20 000 catadores (« recycleurs de déchets ») qui vivaient jusqu’alors de la collecte et du tri des déchets de la décharge ont sombré dans la misère. En 2012, la mairie leur avait promis 14 000 reais (environ 2 560 euros) d’indemnisation et l’accès à des formations pour une reconversion professionnelle. Mais seuls ceux ayant un emploi formel – soit 1 700 personnes – en ont bénéficié. Faute d’alternative, ils sont nombreux à avoir repris leurs activités de façon illicite sous le commandement des gangs de narcotrafiquants qui contrôlent la favela (« bidonville »), dont les ruelles au sol poussiéreux empestent les déchets et le plastique brûlé.

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