mardi, mai 21
A Mamoudzou, dans le quartier du stade de Cavani, des réfugiés roulent nattes et matelas afin de ne pas gêner le passage sur les trottoirs, le 20 avril 2024 à Mayotte.

« Ils ont tout jeté. Ils ont même pris l’eau, la nourriture et mes médicaments. C’est le cauchemar. » De retour d’une consultation à la Croix-Rouge, Régine K., 43 ans, réfugiée congolaise arrivée à Mayotte sur un kwassa-kwassa – des embarcations légères – en août 2022, découvre, dans un mélange de stupéfaction et de révolte, qu’il « n’y a plus rien » sur le bout de trottoir qu’elle occupait sur le boulevard situé en face du stade de Cavani, un quartier au sud de Mamoudzou, le chef-lieu du département. Ses valises souffreteuses, les deux nattes sur lesquelles elle dormait par terre, son petit braséro ont été embarqués dans un camion-benne. Même sort pour les quelque 500 migrants africains, principalement originaires de Somalie et de la région des Grands Lacs – République démocratique du Congo (RDC), Rwanda et Burundi notamment.

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Tôt, vendredi 26 avril, la préfecture de Mayotte a lancé avec les forces de l’ordre une opération pour les expulser. Ces demandeurs d’asile ou réfugiés se sont installés là après le démantèlement du camp improvisé dans l’enceinte sportive, le 22 mars. Sans eau, dans des conditions d’hygiène exécrables, entassant leur linge sur des grillages, dormant sur un matelas en mousse pour les plus chanceux. Un bidonville à ciel ouvert écrasé par le soleil.

« La situation n’était plus tenable pour les habitants du quartier, les commerces et les restaurants, et pas humaine pour ces gens qui vivent à même le sol avec des enfants en bas âge, affirme le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla, qui a pris un arrêté d’interdiction d’occupation de la voie publique. Il y a aussi des maladies qui circulent comme le choléra et les problèmes de sécurité ». « Il fallait redonner ce quartier aux habitants de Cavani, a déclaré sur place le préfet François-Xavier Bieuville. Je n’ai pas d’état d’âme. »

« Des droits que nous n’avons pas »

Fin décembre 2023, la multiplication des petites cabanes bricolées par les migrants, avec du bois de récupération et des bâches bleues, autour du stade avait cristallisé toutes les colères des collectifs de citoyens dénonçant le résultat de l’immigration clandestine incontrôlée. Le point de départ du blocus de l’île de fin janvier à début mars. Leur démantèlement n’aura fait que provisoirement baisser la tension à Mayotte.

Alors que la ministre déléguée aux outre-mer, Marie Guévenoux, doit revenir dans l’île début mai, certains collectifs n’excluent pas de nouvelles actions. « On veut que ces gens-là quittent Mayotte, prévient Safina Soula, leader du collectif Les Citoyens de Mayotte 2018. L’Etat doit trouver des solutions. Ici, il n’y a pas assez d’hébergements d’urgence, ni de logement. Ils ne peuvent pas avoir des droits que, nous Français, nous n’avons pas. »

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En déplacement dans l’île les 20 et 21 avril, Marine Le Pen a fait de l’installation des migrants africains dans la rue le symbole du « chaos » qui « menace Mayotte d’un danger de mort », et de l’incapacité du gouvernement à « faire preuve d’autorité ». Dans les nuits du dimanche et lundi qui ont suivi – sans qu’un lien de cause à effet puisse être établi –, les abris de fortune de plusieurs migrants montés autour du bâtiment de l’association Solidarité Mayotte, qui a accompagné 2 896 demandeurs d’asile en 2023, ont été incendiés.

Des bureaux de l’association, distante d’un kilomètre du stade, ont également été endommagés par les flammes. Un nouvel épisode de tensions générées par « les jeunes délinquants » habitant le quartier composé aussi de bidonvilles, se plaignent les réfugiés en parlant de caillassages, de vols de téléphone, mais surtout de l’accès au bassin Massimoni, à côté de l’association, où ils vont puiser de l’eau et se laver sous les invectives du type : « Africains, vous n’êtes pas chez vous ! »

« On survivra à Mayotte »

« J’ai récupéré des personnes en larmes, traumatisées, qui m’ont dit qu’elles avaient tout perdu, mais surtout des papiers indispensables pour faire avancer leur situation, témoigne Anthony Bulteau, coordinateur terrain à Mayotte pour Solidarités International, une ONG spécialisée dans les questions d’eau et qui distribue des kits d’hygiène aux familles précaires de l’île. Plusieurs m’ont dit : “On n’est pas des animaux. On a survécu à la guerre, à la traversée en mer. On survivra à Mayotte.’’ C’est incroyable de faire ce comparatif. »

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Pour les migrants africains, l’opération des forces de l’ordre a été vécue comme une autre forme d’agression. Sans solution, beaucoup d’entre eux restent sur les trottoirs. « Je n’ai nulle part où aller », se désole Régine K., mère de six enfants. Tout comme ces jeunes Somaliens, regroupés pour « rester solidaires », qui racontent comment leur pays est en proie à la guerre civile, aux gangs et aux trafics criminels, à l’intégrisme.

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Abdoullahi, 24 ans, a fui Mogadiscio il y a huit mois. « Mon père et mon petit frère sont morts dans l’explosion d’une bombe et ma mère y a perdu sa jambe », témoigne-t-il avec retenue. Sur son kwassa-kwassa, 41 personnes étaient entassées. Deux sont tombées à l’eau en raison de la mer agitée et n’ont pas été récupérées. Pourquoi Mayotte ? « Je ne savais pas que j’allais arriver ici. Ma volonté était de m’enfuir vers un pays sûr, une zone de réfugiés internationaux », répond ce jeune homme qui survit en travaillant pour les commerçants locaux, « une à deux fois par semaine ». « J’arrive à gagner 7 à 10 euros. C’est déjà mieux que rien. J’en envoie un peu à la famille. »

Parlant du manque d’hygiène, les migrants de Cavani « se débrouillent », disent-ils pudiquement, dans une canalisation voisine. « Il y a beaucoup de gens malades, notamment les femmes, ajoute Abdoullahi. Cette vie est bien plus difficile pour elles. » « Le plus compliqué, c’est de ne pas avoir d’intimité, de ne pouvoir dormir totalement la nuit, protégeant le peu de nos affaires personnelles et vivre ainsi, dehors, dans le bruit », décrit, de son côté, une jeune Somalienne, arrivée seule à Mayotte, il y a près de trois mois, parce qu’à Mogadiscio « la violence est partout et a tué [son] père ».

« Opération de recensement »

Avant d’avoir tenté de faire partir de la rue ces migrants, la préfecture a mené, mercredi 24 avril, une « opération de recensement ». « Pour savoir qui ils sont, observe le préfet de Mayotte. Nous allons procéder à des reconduites à la frontière, à des relogements pour les femmes et les enfants. Cela prendra du temps, il faut le reconnaître. » Face à une partie de l’opinion publique mahoraise exigeant des mesures fortes, l’Etat assure que des solutions ont été trouvées pour plus de 1 000 migrants installés dans le stade, dont 550 réfugiés acheminés dans l’Hexagone. De nouveaux départs ne sont toutefois pas envisagés. En raison de la polémique provoquée par l’installation de 300 migrants dans un « château des Yvelines » et le risque, selon M. Bieuville, de « créer les conditions d’un appel d’air ».

Prônée par plusieurs associations, la construction d’un camp sécurisé est farouchement rejetée par les élus locaux pour les mêmes motifs. « Mayotte est un territoire “bidonvillisé” avec 77 % de personnes en situation de pauvreté aiguë, argumente le maire de Mamoudzou. Si on rajoute la précarité à la précarité, on ne s’en sortira pas. Mayotte ne peut être le capteur de la misère. » Pour Ambdilwahedou Soumaïla, l’Etat doit rendre les frontières de Mayotte « hermétiques ». « C’est la source de tous nos problèmes », appuie-t-il.

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Dans la rue, face au stade de Cavani, partageant avec ses camarades quelques euros par jour pour acheter de la nourriture, Abacar, 26 ans, garde espoir pour ses « six frères et sœurs plus jeunes que moi restés en Somalie » et sa famille qui s’est cotisée pour payer son départ (environ 400 euros). « Mon rêve serait d’aller en France [en métropole] pour trouver un lieu en paix, confie celui qui était commerçant dans la région enclavée du Hiiraan, dans le centre de la Somalie. Même si Mayotte est régulièrement violente, ça n’est rien en comparaison d’où nous venons. »

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