mercredi, mai 22

C’est une « adresse intime » dit le site de l’Hôtel San Régis, au cœur du très chic « triangle d’or » parisien, proche du Grand Palais, où la chambre se louera quelques milliers d’euros la nuit pendant les Jeux olympiques (JO), du 26 juillet au 11 août. Mais ce cinq-étoiles du 8e arrondissement est aussi situé « en “zone rouge”, périmètre interdit aux véhicules motorisés. Et la station de métro Champs-Elysées-Clemenceau sera fermée », souligne sa directrice, Sarah Georges. De mai à septembre, l’hôtel prêtera à sa cinquantaine de salariés, et à ses clients, quatre cycles électriques Gitane, fournis par la société Tim Mobilité, spécialiste du vélo de fonction. Une première pour cet établissement haut de gamme. « Pour les déplacements dans le quartier, le vélo sera idéal », remarque la responsable.

Cette contribution à la mobilité urbaine, certes modeste, illustre l’adaptation des acteurs économiques aux contingences olympiques. Les Jeux « dans la ville », au cœur du Paris monumental – Louvre, tour Eiffel ou Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) –, bouleverseront les habitudes de manière inédite. Et favoriseront l’usage du vélo.

Pendant quelques semaines, la capitale va se métamorphoser. Une partie des habitants et des usagers habituels auront déserté, au profit de millions de spectateurs. En se fondant sur les éditions de Rio, en 2016, et de Londres, en 2012, l’office de tourisme de Paris a établi un portrait-robot des touristes olympiques : 60 % d’hommes, âgés en moyenne de moins de 40 ans, au niveau de vie plutôt élevé et pratiquant régulièrement le sport. A Londres, en 2012, les visiteurs préféraient de loin les dîners au restaurant, les sorties ou le shopping, aux musées. A Paris, l’ouverture des terrasses sera autorisée jusqu’à minuit et chaque arrondissement, sauf le 7e, comptera au moins une fan-zone. Bref, il va y avoir du bruit.

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Voilà qui cadre parfaitement avec la « ville du quart d’heure » rêvée par les théoriciens d’un urbanisme à visage humain. Or, une ville en fête change les habitudes de déplacement, comme on le constate chaque année à Avignon pendant le festival de théâtre en juillet, à Lille avec la braderie de septembre, ou à Strasbourg durant le marché de Noël à partir de la fin de novembre.

« Une belle fête, avec plein de vélos partout »

A Paris, dans le métro, où l’attente avant de monter dans une rame pourra atteindre vingt minutes, la résilience des passagers sera indexée sur la température extérieure. Les voitures et scooters, qui ne totalisent plus que 5 % des déplacements dans la ville, selon une étude publiée le 4 avril par l’Institut Paris Région, circuleront encore plus difficilement que d’habitude. Il restera donc le vélo, qui dépasse déjà 11 % des trajets à Paris intra-muros et atteint 10 % dans la petite couronne.

« Ça peut être une très belle fête, avec plein de vélos partout », s’enthousiasme déjà la présidente de l’association Paris en selle, Anne Monmarché, qui a prévu d’assister à plusieurs épreuves. « Parmi les personnes titulaires d’un billet [pour une épreuve], on compte un tiers de Franciliens, renchérit Louis Belenfant, directeur du Collectif vélo Ile-de-France (CVIF), qui rassemble quarante-deux associations. Ils connaissent la ville, sont plus indulgents avec son fonctionnement et ont pris l’habitude de pédaler de temps en temps. »

Les organisateurs ont compris l’intérêt de promouvoir le vélo, mode individuel, peu encombrant et qui dépasse les autos, comme le chantait déjà Joe Dassin. « Le seul moment où le ministre des transports, nommé début février, a parlé de vélo, c’était à propos des JO », observait Louis Belenfant à la mi-avril. Sans manifester pour le sujet l’entrain de ses prédécesseurs Clément Beaune ou Elisabeth Borne, Patrice Vergriete avait lâché, le 14 mars, sur TF1 : « C’est peut-être le moment de ressortir son vélo. »

Les images de milliers de cyclistes convergeant vers les sites olympiques illustreront merveilleusement les « Jeux durables » vantés par la candidature. Et feront des émules. « On pourrait s’en inspirer pour les grands événements, comme le festival de musique Main Square [chaque année, début juillet], en installant des locations de courte durée et du stationnement massifié », observe Françoise Rossignol, vice-présidente (divers gauche) de la communauté urbaine d’Arras, chargée des mobilités.

Alors que la pandémie liée au Covid-19 avait entraîné la création des « coronapistes », les Jeux de Paris reposeront sur 415 kilomètres d’« olympistes », dont 120 sont aménagées pour l’occasion, et qui seront pour la plupart pérennisées. Parmi les départements les plus gâtés figurent la Seine-Saint-Denis, mais aussi Paris, où sans cela « il n’aurait jamais été possible de réaliser autant d’aménagements dans l’ouest de la ville, où les élus sont réticents », se réjouit Jacques Baudrier, adjoint communiste à la maire de Paris, Anne Hidalgo (Parti socialiste). Dans les Hauts-de-Seine, en revanche, les progrès se concentrent « autour des sites olympiques, la Défense et Colombes », observe Louis Belenfant. Les usagers qui espèrent, depuis longtemps, la sécurisation de la D920, axe majeur traversant le sud du département, devront encore attendre.

Offre en libre-service accrue

Les olympiades à vélo n’ont pas toujours été une évidence. En 2021, les organisateurs s’appuyaient encore sur un objectif de « 100 % transports en commun », sans imaginer que certains spectateurs s’y rendraient à bicyclette. Le mouvement provélo francilien y a vu un défi. « On a bénéficié d’un alignement des planètes », observe Louis Belenfant, citant l’engagement des personnalités ayant compris le potentiel cyclable de la région parisienne, « que ce soit Anne Hidalgo, Elisabeth Borne [ancienne première ministre], Michel Cadot [délégué interministériel aux Jeux] ou Valérie Pécresse [présidente Les Républicains de la région Ile-de-France] ».

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Il a tout de même fallu s’imposer. Le terme « olympiste », utilisé sur une boucle WhatsApp un jour de l’hiver 2022-2023 par Hugo Tanné, référent de Paris en selle dans le 10e arrondissement, a fait sourciller le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques, très attentif à son image. Les organisateurs n’avaient pas non plus apprécié une manifestation orchestrée devant le Stade de France, en mai 2022, par Paris en selle – des militants avaient alors brandi des drapeaux sur lesquels les roues d’un vélo avaient été remplacées par les anneaux olympiques, pour critiquer l’absence de pistes pour les Jeux. « Ça a été houleux », se souvient Anne Monmarché.

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Finalement, les pistes cyclables sont là. Maintenant, il faut garantir à chaque usager un vélo et, de préférence, pas un biclou déglingué. Toutes les ressources disponibles ont été mobilisées. Le système de vélos en libre-service Vélib’ a ajouté 3 000 unités à sa flotte et d’immenses stations éphémères. « Compte tenu du taux de perte annuel, pour parvenir à 3 000 vélos, nous avons dû en commander 10 000 », confiait, en 2023, Stéphane Volant, président de l’opérateur Smovengo.

Les sociétés Lime, Dott et Tier, qui proposent leurs vélos électriques verts, rouges ou jaunes, ont obtenu de la Ville de Paris le feu vert pour gonfler leurs flottes. Et le service Véligo, de la région Ile-de-France, déploie une « offre spéciale », 2 000 engins électriques à louer pour un ou deux mois, au lieu de six mois habituellement. Louis Belenfant avance toutefois un regret : « Il n’existe pas d’application commune à tous les opérateurs permettant de réserver un vélo. » En revanche, le stationnement surveillé à proximité des sites est conçu pour que chacun puisse y déposer, le cas échéant, sa batterie électrique ou son casque.

Infographie Le Monde

Source : Ville de Paris

Mais, au-delà des coups de pédale enthousiastes des visiteurs, les habitués pourront-ils continuer à se déplacer dans Paris ? L’expérience montre que, lorsqu’une portion de voirie est neutralisée, la circulation motorisée qui se reporte ailleurs rend les trajets à vélo moins sûrs. Membre du conseil d’administration de Paris en selle, Marion Soulet se souvient de ce soir de septembre 2023, au moment de la Coupe du monde de rugby, quand la place de la Concorde était fermée aux voitures. A 200 mètres de là, « la place de la Madeleine se noyait dans des bouchons inextricables. Les garçons de café faisaient la circulation au milieu des klaxons ».

L’été 2024 n’est pas à l’abri de ce type de pataquès. Les cartes du site Anticiperlesjeux.gouv.fr, conçu par l’Etat, comportent deux onglets, correspondant respectivement aux « transports publics » et à la « route ». Or, ce mode-ci, selon une consultation, le 30 avril, se contente d’indiquer les périmètres interdits à la circulation motorisée. Les pistes cyclables n’y figurent pas, comme si le vélo n’avait pas encore totalement trouvé sa place dans l’imaginaire des organisateurs des Jeux.

« Un quart d’heure en ville » est un projet du « Monde Cities », réalisé avec le soutien de Toyota. Rédaction en chef : Emmanuel Davidenkoff. Articles : Olivier Razemon. Infographie : Le Monde. Podcast : Marjolaine Koch, Jules Benveniste, Joséfa Lopez. Suivi éditorial des podcasts : Joséfa Lopez. Coordination articles : Isabelle Hennebelle. Edition : Guillemette Echalier. Identité graphique du podcast : Marianne Pasquier, Thomas Steffen, Léa Girardot. Iconographie : Sandra Grangeray. Partenariat : Sonia Jouneau, Morgane Pannetier.
Retrouvez tous les épisodes de la série ici.
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