Donald Trump a récemment jugé que le contrôle des États-Unis sur le Groenland était « une nécessité absolue » pour « la sécurité nationale et la liberté à travers le monde ».
Mais la plus grande île du monde voit l’ambition de l’ogre américain d’un mauvais œil, elle qui possède une certaine autonomie malgré la tutelle danoise.
Focus sur l’histoire de cette immense étendue glacée peu habituée aux gros titres de l’actualité.
Donald Trump pensait sans doute s’avancer en terrain conquis. Selon le milliardaire républicain, qui doit officiellement faire son retour à la Maison Blanche le 20 janvier prochain, c’est « une nécessité absolue » pour « la sécurité nationale et la liberté à travers le monde » que le Groenland passe sous giron américain. Une déclaration, en marge d’autres du même acabit, sur le Canada et le canal du Panama, qui n’est pas passée inaperçue. « Le Groenland est à nous. Nous ne sommes pas à vendre et ne le serons jamais », s’est insurgé le chef du gouvernement groenlandais, Mute Egede. « Le Groenland est aux Groenlandais », a confirmé Mette Frederiksen, la Première ministre du Danemark auquel est rattaché le territoire.
Bien qu’elle appartienne à Copenhague, au regard du droit international, la plus grande île du monde – 2,2 millions de km², dont une large majorité est recouverte de neige et de glace -, elle jouit d’une autonomie importante depuis 1979. Certes, le Groenland dépend d’une subvention de sa puissance tutélaire, qui représente un cinquième de son PIB. Mais il possède aussi son drapeau, sa langue, ses institutions, sa culture et un patrimoine historique propre.
L’influence scandinave, mais…
Pour bien comprendre à quel point cette terre, et ses quelque 57.000 âmes, s’est construite en marge du monde, il faut plonger plusieurs centaines, voire milliers d’années en arrière. Lors de la préhistoire, ce territoire inhospitalier – qui possède encore aujourd’hui la densité de population la plus faible de la planète – est peuplé d’une poignée de cultures paléo-esquimaudes ayant migré du Canada. Les documents ou objets de l’époque retrouvés ne sont pas légions, mais ils suffisent à établir l’existence de cette civilisation très ancienne.
C’est ensuite sous l’influence scandinave que ce bout de terre hostile, mais riche en ressources naturelles (ses sous-sols regorgent d’or, d’uranium, de plomb, de pétrole ou encore de gaz), évolue. D’abord au Xᵉ siècle, Erik Le Rouge, banni de Norvège puis d’Islande pour… meurtre, y débarque. Pour encourager la colonisation, il baptise les lieux, que Gunnbjörn Ufsson a a priori été le premier européen à découvrir, « Greenland » (le nom anglo-saxon du Groenland, qui signifie « terre verte »). D’une poignée, le nombre de colons s’élève rapidement à plusieurs milliers, probablement entre 2000 et 9000. Dans le même temps, des Inuits venus d’Alaska et du Canada s’établissent autour de l’actuelle Qaanaaq.
Mais les avant-postes occidentaux se vident quelques siècles plus tard, à partir de 1350, en raison notamment d’hivers de plus en plus rigoureux. Les chercheurs invoquent aussi les thèses de pénurie de fer ou du manque de nourriture. Ne restent que les inuits et des poignées de bâtiments de pêche. Tant et si bien qu’après 1400, il ne demeure que très peu de mentions écrites des locaux.
Ouverture progressive au monde et importance stratégique
Les Européens font leur grand retour au XVIIIᵉ siècle. Au nom du roi du Danemark, le pasteur norvégien Hans Egede établit une mission sur la côte ouest. Il est également chargé de répandre la religion parmi les locaux. Le Danemark déclare alors l’île « terre danoise », un état de fait qui n’a plus varié depuis. En 1728, la première ville, Godthåb – repabtisée Nuuk en 1979 – est fondée. S’ensuit, au XIXᵉ siècle, de multiples expéditions scientifiques, tandis que le peuplement s’accélère. L’anthropologue Knud Rasmussen révèle, par exemple, au monde la culture inuite. La tendance se poursuit au siècle suivant, sous l’impulsion des Français Jean-Baptiste Charcot (1926), Paul-Émile Victor (à partir de 1935) et Jean Malaurie (1950).
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Groenland s’affranchit progressivement du Danemark, occupée par l’Allemagne nazie. Le territoire se tourne vers les États-Unis, qui y établissent des bases militaires (qui deviendront permanentes durant la Guerre froide). Et dès la fin du conflit ou presque, en 1950, le monopole d’État danois sur le commerce des produits de la pêche et de la chasse – en vigueur depuis la fin du XVIIIᵉ siècle – prend fin. Dans la foulée, la nouvelle Constitution danoise abolit le statut de colonie du Groenland. Sur le plan militaire, le traité de défense du Groenland met en place une zone militaire de l’OTAN, dont le Danemark et les États-Unis sont conjointement responsables de la défense.
Déjà trois offres américaines de rachat
Ces derniers développements expliquent sans doute, en partie, les prétentions américaines sur cet immense bout de glace. « Pendant la guerre, quand le Danemark était occupé par l’Allemagne, les États-Unis se sont saisis du Groenland. D’une certaine manière, ils ne l’ont jamais quitté », analyse l’historienne Astrid Andersen, de l’Institut danois des études internationales, auprès de l’AFP. En 1945, la revue Collier’s écrivait que « le Groenland était à l’Atlantique nord ce que l’Alaska était au Pacifique » tandis que le magazine Time, en 1947, suggérait que l’île était « le plus vaste porte-avions du monde », assure Wikipédia. Trois offres de rachat, toutes refusées, ont été formulées par Washington à Copenhague (1867, 1946, 2019).
Toutefois, aujourd’hui, le Groenland semble davantage lancé dans un processus visant l’indépendance, les Inuits voyant même d’un mauvais œil l’ouverture opérée au cours des dernières décennies. En 2023, un projet de Constitution est d’ailleurs présenté au Parlement local, l’Inatsisartut. « Depuis, il n’y a pas eu de débat public », relève Ulrik Pram Gad, spécialiste du Groenland à l’Institut danois des études internationales, contacté par l’AFP. Mais estime-t-il, la discussion pourrait intervenir en marge des législatives locales prévues le 6 avril prochain. « Je m’attends à plus de discussions sur les étapes formelles vis-à-vis de l’indépendance, sur la manière dont le personnel politique veut sécuriser l’État providence et le futur du Groenland », confirme l’expert. Reste à voir si Donald Trump l’entend ainsi.