A Calais, ceux qui viennent en aide aux migrants disent souvent que la frontière franco-britannique tue. On pourrait préciser que, à mesure que les années passent, elle ne s’y emploie pas de la même manière. Longtemps, les migrants mouraient percutés par des voitures sur la voie rapide qui mène au port des ferrys ou en chutant des semi-remorques dans lesquels ils essayaient de se dissimuler. Depuis 2018, ils meurent de plus en plus souvent noyés dans le détroit du Pas-de-Calais. Et désormais, avant même d’atteindre le large, ils meurent piétinés par leurs compagnons d’infortune dans les embarcations pneumatiques surchargées à bord desquelles ils entreprennent la périlleuse traversée maritime.
Sara Alhashimi avait 7 ans ; Dina Al Shamari en avait 21. La première a été étouffée le 23 avril à quelques mètres de la plage de Wimereux (Pas-de-Calais). Dans des images filmées la nuit du drame par la chaîne anglaise BBC, on voit un groupe d’une centaine de personnes embarquer précipitamment dans un canot tandis que les forces de l’ordre essayent de les en empêcher à grand renfort de gaz lacrymogènes. On distingue la petite fille sur les épaules de son père parvenir à rejoindre l’embarcation et l’instant d’après disparaître pour ne jamais être revue vivante. C’était la quatrième fois que sa famille tentait la traversée. Quatre autres personnes sont mortes asphyxiées ce jour-là.
Dina, elle, est morte, sur un bateau dans la nuit du 27 au 28 juillet, aux côtés de ses deux sœurs cadettes, Nour et Fatima, de son petit frère, Abdallah, et de ses parents. C’était la cinquième tentative de traversée pour la famille. La mère, que Le Monde a rencontrée, se souvient que Dina est montée la première à bord du canot pneumatique, « contente », pressée de toucher au but. Un groupe d’hommes a suivi. « Les passeurs nous avaient dit qu’on serait soixante mais on était beaucoup plus », rapporte Amira Al Shamari.
« Les gens se sont battus à bord »
La masse des corps entassés a tué sa fille aînée en quelques instants furtifs. « Sa sœur Nour criait “Ma sœur va mourir, sauvez-là ! Elle va s’étouffer ! Appelez les secours !” Certains disaient de ne rien faire, qu’on arriverait bientôt. Ils ont menacé de la jeter à l’eau. Les gens se sont battus à bord. Ça a duré une heure jusqu’à ce que les secours arrivent. » Des migrants ont refusé les secours et continué leur route vers l’Angleterre, d’autres ont été débarqués à Wimereux, avec le corps inanimé de la jeune « bidoun », une minorité arabe sans papiers et apatride au Koweït.
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