mercredi, décembre 25

En avril dernier, la commission de la culture du Sénat décidait de lancer une commission d’enquête sur la financiarisation du football. Si la chambre haute a choisi de se pencher sur le sujet, c’est parce que le foot français traverse une période difficile. Depuis la fermeture des stades pendant la crise du Covid, la faillite de Mediapro – qui avait racheté la majorité des droits de diffusion des matchs – et l’effondrement du prix de vente des droits TV, les finances de la plupart des clubs sont au plus bas.

En 2022, pour renflouer les caisses, la Ligue de football professionnel (LFP) a décidé de céder 13 % des parts de sa société commerciale, chargée de vendre les droits TV des championnats français, au fonds d’investissement luxembourgeois CVC. Un deal qui a rapporté 1,5 milliard d’euros à la LFP.

Comment la Ligue a-t-elle utilisé ces fonds ? C’est l’une des questions qui préoccupe les sénateurs, car les ligues sportives sont liées à l’Etat par une subdélégation de service public. Dans chaque discipline, le ministère des Sports confie l’exécution d’une mission de service public à une fédération sportive, qui délègue elle-même dans certains cas cette compétence à une ligue professionnelle.

Locaux à 131 millions d’euros, doublement du salaire du président… le Sénat épingle le train de vie de la Ligue

Au cours de leur enquête, le président de la commission Laurent Lafon (Union centriste) et son rapporteur Michel Savin (Les Républicains) sont rapidement arrivés à une conclusion : la LFP vit largement au-dessus de ses moyens. « Il y a un contraste entre le train de vie de la Ligue et la situation financière des clubs », expliquait Michel Savin le 12 septembre dernier, de retour d’un contrôle au siège de la LFP. Après avoir conclu son accord avec CVC, la Ligue a en effet acquis de nouveaux locaux dans le 17ème arrondissement de Paris pour 131 millions d’euros, mais aussi doublé ses embauches.

Symbole de ces dépenses excessives, les sénateurs pointent aussi le salaire du président de la LFP, Vincent Labrune, auditionné par la commission au mois de juin. Lors de sa réélection à la tête de la Ligue cet automne, ce dernier a annoncé une diminution de son salaire de 30 %, portant sa rémunération de 1,2 million d’euros à 840 000 euros par an. Une baisse « en trompe-l’œil », se sont empressés d’avertir Michel Savin et Laurent Lafon, dans un communiqué. En effet, avant de conclure un accord avec CVC, le salaire de Vincent Labrune s’élevait encore à 420 000 euros par an, soit deux fois moins que sa rémunération actuelle.

Dans leur rapport, rendu le 30 octobre, les sénateurs proposent ainsi d’encadrer la rémunération des présidents de ligues sportives. Ils suggèrent de s’inspirer du dispositif déjà en vigueur pour les patrons d’entreprises publiques, dont le salaire est plafonné à 450 000 euros par an. « Le premier signal à envoyer c’est que le président puisse faire un effort sur sa rémunération », estimait Michel Savin, à l’occasion d’une conférence de presse de présentation de ses conclusions. Pour s’assurer de la bonne gestion des finances de la LFP, le Sénat recommande également que les budgets des ligues professionnelles soient directement contrôlés par la Cour des comptes.

Un mode d’élection opaque, qui met l’ancienne ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra « très mal à l’aise »

La commission d’enquête a également mis en lumière des problèmes de gouvernance au sein de la Ligue. Alors que les sénateurs achevaient leurs travaux, le conseil d’administration réélisait Vincent Labrune à sa tête pour un second mandat, dans le cadre d’un scrutin aux conditions opaques. « Je pense que quand on est président de la LFP on a la main sur plusieurs leviers économiques qui sont très utiles en période électorale », avait confié Cyril Linette, seul candidat à s’être présenté face à Vincent Labrune, lors de son audition peu après l’élection.

Avec l’aval de la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, la LFP avait en effet fait passer de cinq à trois le nombre d’administrateurs indépendants dans son conseil. Sans appui suffisant de ces indépendants, l’élection d’un acteur extérieur face au président sortant de la Ligue devient alors très difficile. Entendue par les sénateurs au début du mois d’octobre, l’ancienne ministre avait esquissé quelques regrets : « J’ai été très mal à l’aise quand j’ai compris qu’on pourrait arriver à une situation où il y aurait un président de la Ligue connu, avant même que le tout début d’une volonté démocratique n’ai pu s’exprimer. »

Dans leur rapport, les sénateurs recommandent ainsi une réforme de la gouvernance des ligues sportives, notamment pour les obliger à intégrer au moins cinq administrateurs indépendants au sein de leur conseil, mais aussi un représentant des supporters, pour s’assurer que leurs intérêts soient bien représentés.

Quelles suites pour les travaux du Sénat ?

Lors de la remise de leur rapport au mois d’octobre, les sénateurs ont affirmé leur souhait de réunir une partie de leurs 35 recommandations au sein d’une proposition de loi, qu’ils espèrent transpartisane. À ce moment, Michel Savin bénéficiait en tout cas du soutien du ministre des Sports Gil Avérous, qui avait donné « une réponse très positive » à son rapport. Avec la démission du gouvernement de Michel Barnier, l’héritage de la commission d’enquête de Michel Savin et Laurent Lafon est donc suspendu à la nomination d’un nouveau ministre.

En attendant, l’enquête sur la Ligue de football professionnel se poursuit sur le plan judiciaire. En février dernier, peu avant que les sénateurs ne débutent leurs travaux, le Parquet national financier avait ouvert une enquête pour détournements de fonds publics, dans le cadre de l’accord conclu entre la LFP et CVC. Le 5 novembre dernier, une semaine après la publication du rapport du Sénat, des perquisitions étaient menées dans le cadre de cette enquête, au siège de la LFP, de CVC, ainsi qu’au domicile de Vincent Labrune.

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