mercredi, octobre 30

Profitant d’un déficit démocratique croissant dans les modes de gouvernement du monde occidental, les mouvements d’extrême droite ont émergé pour faire de la politique en niant la politique. En tant que professeur d’université au Brésil, j’ai assisté à leur montée dans ce pays, depuis leur émergence jusqu’à leur prise du pouvoir, en 2018.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « L’expérience de Bolsonaro au Brésil montre que la victoire de l’extrême droite n’est jamais anodine »

Tandis que nous luttions pour préserver l’éducation et la recherche, le temps a montré à quel point notre communication était inefficace. Même notre réseau sur Facebook, regroupant plusieurs centaines de professeurs, ne parvenait pas à communiquer sur le rôle des universités, pour deux raisons. Premièrement, l’extrême droite, grâce à son approche méthodique des réseaux sociaux, parvenait à rendre inaudibles nos arguments fondés sur la construction logique. Deuxièmement, alors que nous nous battions sur le terrain des idées, nous avons réalisé que l’extrême droite montait en puissance en jouant sur le terrain des affects, pourtant identifié par la philosophie politique (Le Circuit des affects. Corps politique, détresse et la fin de l’individu, Vladimir Safatle, Le Bord de l’eau, 2022).

Aujourd’hui, les intellectuels français semblent commettre les mêmes erreurs. Il est un peu triste, voire presque drôle, de voir à la télévision des spécialistes et commentateurs politiques respectés sous-estimer l’impact des plates-formes de réseaux sociaux sur la formation du choix politique. Non, ces plates-formes n’ont pas un accès limité aux jeunes ni un impact marginal sur les résultats électoraux. Elles sont une arme politique de destruction massive. Les réseaux sociaux réorganisent l’architecture de l’information, subvertissent le concept de vérité et donnent une reconnaissance à des acteurs politiques auparavant ignorés par l’establishment ( Daniel Lacerda et Rita de Cassia Santos, « The Role of Social Network Platforms for Discursive Legitimation : Unveiling Neoliberalism Behind the Discourse on Public Universities », M@n@gement n° 26/4, 2023, non traduit). Ressurgissent alors au grand jour des discours qui avaient été refoulés dans la sphère de la vie privée.

Essor du national-populisme

Il est vrai que, malgré sa croissance en France, l’extrême droite n’a pas encore obtenu une majorité pour gouverner. Mais le plus grand danger ne réside pas dans les lois ou les réformes que cette idéologie prétendrait mettre en œuvre – nombre de ces propositions dépendent d’ailleurs de leviers constitutionnels qui empêcheraient un premier ministre en cohabitation d’agir. La plus grande menace réside plutôt dans l’effet des messages promus au cours de cette campagne électorale, car le discours acquiert lui-même une matérialité. Construire le discours sur les réseaux sociaux est un puissant moteur de changement social : la victoire politique se joue bien avant la victoire électorale.

Il vous reste 39.86% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version