lundi, novembre 18

La France et l’Union européenne (UE) se targuent régulièrement d’être les bons élèves de la lutte contre le dérèglement climatique, grâce à leurs politiques volontaristes de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) – même si ces efforts restent insuffisants.

Un rapport rendu public lundi 18 novembre par le cabinet de conseil Carbone 4 et la Fondation européenne pour le climat (ECF), consulté par Le Monde, met en lumière un angle mort de l’engagement contre le réchauffement : les émissions liées au commerce international ne cessent d’augmenter.

Traditionnellement, les GES d’un pays sont calculées en fonction de la production de biens et de services sur son territoire. Cette approche omet une question cruciale : à qui ces marchandises sont-elles destinées ? Par exemple, toutes les émissions induites par la fabrication en Chine d’un microprocesseur qui sera vendu en France sont pour l’instant comptabilisées dans les émissions chinoises. Ce calcul « par inventaire » minimise donc la responsabilité des pays importateurs.

Un quart des émissions planétaires sont ainsi « importées », c’est-à-dire produites par des pays pour satisfaire la demande d’autres pays. Un sujet souvent mis de côté dans les négociations climatiques, car il touche à la compétitivité : « Pendant la COP21, plusieurs participants, parmi lesquels l’UE, avaient un mandat de négociation pour ne prendre aucune mesure susceptible de freiner le développement du commerce mondial », écrivent les auteurs du rapport, Richard Baron, Samuel Leré (ECF), César Dugast et Pierre Maquet (Carbone 4).

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés La COP29 s’ouvre dans un climat géopolitique plombé par l’élection de Trump et par la situation économique

Cette année, les représentants du G20, réunis à Bakou pour la 29conférence des Nations unies sur le climat (COP29), « se reconnaissent toutefois le droit de réglementer, y compris à des fins environnementales, sur cette question du commerce et du développement durable », fait valoir Richard Baron, directeur du programme commerce international à ECF.

Ajuster les émissions à la consommation finale

L’approche par la consommation finale, aussi appelée empreinte carbone, ajuste les émissions par pays selon leurs échanges commerciaux. L’analyse de celles liées aux importations permet de savoir si un pays qui, en apparence, effectue des progrès en matière de décarbonation, ne s’appuie pas en réalité sur les chaînes d’approvisionnement très émettrices de ses partenaires commerciaux.

« Nous, Européens, avons beau décarboner notre territoire, nous continuons à induire des émissions dans d’autres pays via notre consommation », pointe César Dugast, coresponsable du pôle Débat public à Carbone 4.

En 2021, les émissions produites sur le sol français s’élevaient à 443,47 mégatonnes équivalent CO2 (MtCO2eq), ce qui est inférieur à son empreinte carbone (639,31 MtCO2eq).

Cette différence s’explique par le fait que la France importe plus d’émissions qu’elle n’en exporte – autrement dit, c’est un importateur net (330 MtCO2eq importées contre 134 MtCO2eq exportées). Ses émissions importées constituent plus de la moitié de son empreinte carbone.


Pour de nombreux pays développés, la part des émissions importées dans l’empreinte
carbone est majoritaire

Part des émissions importées et des émissions nationales (hors exports) dans l’empreinte
carbone, par pays.

Fuites de carbone : moins de production en Europe, plus d’émissions en Chine

« La crainte sous-jacente est que les efforts de certains pays pour réduire leurs émissions n’entraînent des fuites de carbone », soutient Richard Baron. Ce phénomène se produit lorsque les mesures de réduction des émissions d’un pays, parce qu’elles rendent ses entreprises moins compétitives, mènent à une augmentation des émissions ailleurs, souvent dans des régions où la production est plus intensive en carbone. Par exemple, si l’UE réduit ses émissions territoriales, mais que d’autres en profitent pour accroître leur production, l’effet sur le climat pourrait être négatif.

Le Monde

Soutenez une rédaction de 550 journalistes

Accédez à tous nos contenus en illimité à partir de 7,99 €/mois pendant 1 an.

S’abonner

La base de données Figaro d’Eurostat sur laquelle se fonde le rapport compte les émissions induites sur toute la chaîne de production des biens et services consommés. Elle montre la forte dépendance de l’UE à la Chine et à la Russie – respectivement 20 % et 15 % de ses émissions importées. Les effets des sanctions liées à la guerre en Ukraine n’y sont pas encore appréciables : les données les plus récentes disponibles s’arrêtent à 2021.

« La prépondérance de la Chine – notamment de son secteur électrique – dans nos émissions importées est frappante, note César Dugast. Ce qui veut dire que les produits consommés par les Européens ont eu besoin de beaucoup d’électricité chinoise très carbonée pour être fabriqués. » Le secteur manufacturier (comprenant les métaux, les produits chimiques, etc.), l’agriculture, l’exploitation minière ou encore les transports sont également très représentés dans les émissions liées au commerce.

L’Europe importe 2,5 fois plus d’émissions qu’elle n’en exporte

La Chine est à la fois le plus grand exportateur et le plus grand importateur d’émissions (respectivement 2 826 et 2 497 MtCO2eq). Viennent ensuite sur le podium des émissions importées les Etats-Unis (1 950 MtCO2eq), talonnés par l’UE (1 762 MtCO2eq). Comme la France et contrairement à la Chine, l’UE est un importateur net : elle importe 2,5 fois plus d’émissions qu’elle n’en exporte.

« Nous avons agrégé les données des membres de l’UE en une seule entité, puisque c’est à cette échelle que l’essentiel des décisions politiques de lutte contre le changement climatique sont prises. L’UE et le G20 regroupent à eux seuls 81 % des émissions importées dans le monde. Ces chiffres montrent leur très forte responsabilité commune sur ce sujet », souligne Pierre Maquet, consultant à Carbone 4 et coauteur du rapport.

« L’interdépendance marchande des pays entraîne leur codépendance en matière de politiques environnementales efficaces », explique Richard Baron. Il appelle « à reconnaître cette dépendance pour passer de l’aspect conflictuel commercial à une coopération entre les économies », ce qui « éviterait aussi de déplacer nos émissions vers des pays tiers qui auront de ce fait plus de mal à atteindre leurs objectifs climatiques ». Cela passerait par une connaissance plus fine du contenu en carbone des échanges commerciaux par secteur, l’adoption de standards communs entre les marchés, ou encore un usage plus ambitieux de la commande publique pour encourager certains secteurs à innover dans la décarbonation.

Du côté des consommateurs, les auteurs du rapport espèrent « en finir » avec l’idée selon laquelle la France ne représente que 1 % des émissions mondiales, rendant nos efforts de réduction d’émissions de GES dérisoires – une idée propagée, entre autres, par les sphères d’extrême droite. « Si on regarde l’empreinte carbone par habitant, le classement change complètement, relève César Dugast. Si toute l’humanité consommait comme des Français, il faudrait trois planètes Terre pour répondre à la demande ! »

« Quand on achète des produits qui viennent de loin, il faut se poser la question de l’ambition climatique et de l’empreinte carbone de ces pays : est-ce qu’on ne déplace pas tout simplement le problème climatique ? », abonde Richard Baron. Il cite au passage l’exemple des colis de site de « fast fashion » qui inondent le marché et dérogent très souvent aux normes sanitaires européennes.


L’empreinte carbone d’un Européen équivaut à celle d’un Chinois

Empreinte carbone par habitant et par pays, en tonnes, en 2021.

Partager
Exit mobile version