vendredi, novembre 22

Au Gabon, là où s’enchevêtre le territoire des humains et des animaux sauvages, les incursions de plus en plus fréquentes des éléphants dans les villages et leurs dégâts réguliers sur les cultures exaspèrent les populations qui voudraient pouvoir les tuer.

« La solution pour dégager les pachydermes c’est de les abattre », assène Kévin Balondoboka, un habitant de Bakoussou, un ensemble de cases en bois perdues dans l’immensité verte du pays.

Ici tout le monde redoute les rencontres avec ces géants: sur la route, lorsque femmes et enfants vont se laver au ruisseau et surtout dans les plantations agricoles où ils ravagent les récoltes.

Grâce à ses politiques strictes de conservation, ce pays couvert à 88% de forêts est devenu « le pays refuge des éléphants de forêts », explique le Dr Léa Larissa Moukagni, en charge du programme « conflit homme-faune » au sein de l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN).

Mais peu importe que les « Loxodonta cyclotis » d’Afrique de l’Ouest – plus petits que les éléphants de savane- soient « en danger critique d’extinction », les villageois vivent leur présence comme une nuisance.

Et avec « 95.000 spécimens face à une population de deux millions d’habitants, la problématique est bien réelle », souligne Aimé Serge Mibambani Ndimba, haut-fonctionnaire au ministère de l’Environnement, du Climat et du Conflit Homme-Faune, crée par le gouvernement de transition pour apaiser les tensions.

– « Dévastations » –

« Qu’est ce que les hommes du gouvernement protègent? L’être humain ou la bête? Je ne sais pas ce que l’éléphant leur rapporte », s’emporte Mathias Mapiyo, un habitant de Bakoussou.

« Nous subvenons aux besoins de nos enfants à travers l’agriculture, rappelle Viviane Métolo, du même village. « Maintenant que cette agriculture est au bénéfice de l’éléphant. Que va-t-on devenir? »

William Moukandja, chef d’une brigade spécialisée, est habitué à ces protestations: « Le conflit homme-faune aujourd’hui est permanent, on le retrouve sur toute l’étendue du territoire national où l’on recense les dévastations du nord au sud et d’est en ouest ».

« Les populations pensent qu’il y a plus d’éléphants qu’avant, scientifiquement c’est prouvé », précise le Dr Léa Larissa Moukagni. Et les animaux n’hésitent plus à s’approcher des villages et parfois même des villes, « espaces plus ou moins calmes » pour eux.

Pour protéger les plantations, l’agence ANPN expérimente la pose de clôtures électriques, destinées non pas à tuer mais à « impacter psychologiquement l’animal » pour le repousser.

Mais pourquoi les éléphants quittent-ils la forêt profonde ?

Le changement climatique a un impact sur les végétaux et la nourriture disponible, les humains exploitent des terres qui constituent leur milieu naturel, le braconnage en forêt profonde désorganise les troupeaux, explique le Dr Moukagni. En trois décennies, 86% des éléphants de forêt ont disparu, selon la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la Nature établie en 2021.

– « Responsabilité » –

L’espèce n’est pas prête de disparaître au Gabon mais le pays a une « double responsabilité », estime le Dr Moukagni: la garder « vivante pour le monde et pour la pérennité des forêts ».

Début décembre 2023, trois mois après son coup d’Etat, le président de transition, le général Brice Oligui Nguema, a pris ouvertement position pour les « victimes (du) conflit Homme-Faune », dans un discours en rupture avec la priorité de conservation du régime précédent.

« Je vous autorise à abattre ces éléphants (…) Je suis un humaniste », avait-t-il lancé sous les applaudissements, en annonçant avoir demandé la libération « sans délai et sans conditions de toutes les personnes emprisonnées pour avoir tué les éléphants ».

« Le message a été fort auprès des populations », mais « lorsque le président avait dit +abattez les+, il faisait allusion à la légitime défense » prévue par la législation, assure Jérémy Mapangou juriste de l’ONG Conservation Justice.

La chasse et la capture des éléphants sont interdites et passibles de prison au Gabon, et le trafic d’ivoire sévèrement réprimé. Mais les abattre est autorisé en cas de légitime défense: il faut alors informer l’administration, avoir une arme en règle, établir un constat après la mort de l’animal et remettre les ivoires, « propriété de l’Etat ».

Les communautés les plus impactées peuvent également formuler des plaintes et demander des « battues administratives » pour se débarrasser des fauteurs de trouble.

« Mais comment peut-on déposer plainte contre un éléphant ? », ironise, peu convaincu, Marc Ngondet, le chef du village de Bakoussou.

Au ministère de l’Environnement, Aimé Serge Mibambani Ndimba, chargé de la gestion de la Faune, assure que « la protection des éléphants reste une priorité ». Tout en soulignant que les efforts pour concilier protection de la faune et bien être des populations méritent « la contribution du monde entier ».

Car cet animal « jardinier des forêts » joue un rôle crucial pour la biodiversité des forêts du bassin du Congo, qui représentent après l’Amazonie une des plus grosses capacités d’absorption de carbone au monde.

« Il faut apporter de l’aide au Gabon pour qu’on n’arrive pas à des situations où les populations se soulèvent et veuillent se faire justice », insiste Aimé Serge Mibambani Ndimba. Sinon, « des têtes d’éléphants vont tomber ».

lnf/sof/emd

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