Ils ont entre 14 et 17 ans et sont « fans » de l’organisation Etat islamique (EI). Ils en consomment ad nauseam les vidéos les plus violentes, s’enferment dans des groupes de discussions en ligne qui nourrissent leur obsession et élaborent des projets d’attentat. Ils n’ont souvent qu’une connaissance très superficielle de l’islam, ne fréquentent pas les mosquées. Ce sont des adolescents solitaires, qui passent le plus clair de leur temps sur Internet ou à jouer à des jeux vidéo de guerre, reclus dans une bulle numérique et idéologique mortifère.
La menace terroriste a été marquée, ces deux dernières années, par une évolution inquiétante : le spectaculaire rajeunissement des auteurs de projets d’attentat. Depuis 2023, vingt-trois mineurs – le plus jeune avait 14 ans – ont été mis en examen pour des projets d’action violente d’inspiration djihadiste, selon les chiffres du Parquet national antiterroriste. Alors que les adolescents ne représentaient que 1 % des mises en examen pour « association de malfaiteurs terroriste » en 2022, leur proportion a explosé pour atteindre 10 % en 2023 et 21 % sur les sept premiers mois de 2024.
« L’attrait pour l’idéologie djihadiste a significativement diminué du fait de la déroute de l’EI dans les années 2017-2018, constatait dans un entretien au Monde, en décembre 2023, Nicolas Lerner, patron de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) entre 2018 et janvier 2024. Mais la propagande revient aujourd’hui séduire une nouvelle génération d’adolescents qui, pour des raisons diverses – une quête identitaire, l’écho d’un discours de victimisation, une glorification de pulsions violentes qu’ils peuvent nourrir par ailleurs –, se montre de nouveau sensible à cette idéologie. »
Le sociologue Elyamine Settoul, directeur du domaine défense et société à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire et auteur de Penser la radicalisation djihadiste (PUF, 2022), identifie cinq grands axes permettant de comprendre la djihadisation de cette génération : la « dévotion » religieuse, qu’il juge minoritaire, l’« émotion » (chez des adolescents perdus pour qui « l’adhésion radicale convertit la haine de soi en haine de l’autre »), la « politisation » (qui se nourrit du sort des musulmans dans le monde), la « manipulation » sectaire et, enfin, la « pulsion », meurtrière ou suicidaire.
Ces catégories ne sont pas étanches et cohabitent bien souvent chez un même individu. Derrière cette « mosaïque » de profils, le chercheur isole ainsi plusieurs traits communs à cette nouvelle « génération djihad » : « passionnée par les jeux vidéo », souvent en échec scolaire et social, elle est marquée par un « mal-être identitaire » qui se traduit par un « renfermement sur soi ». Un sentiment d’« inutilité sociale », explique-t-il, qui conduit certains jeunes à rechercher la « gloire éphémère » promise par la propagande djihadiste.
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