lundi, mai 20

Les causes du changement climatique depuis 1850 sont aujourd’hui bien connues : elles sont intégralement liées aux activités humaines. Prises dans leur globalité, nos sociétés bouleversent les équilibres bio-géophysiques du système Terre, au point de nous faire basculer dans une nouvelle ère : l’anthropocène. Si la date de départ de cette « ère de l’humain » reste débattue, les observateurs s’accordent sur un point : la première révolution industrielle constitue un point d’inflexion majeur. Elle est en effet marquée par la domestication des énergies fossiles, s’accompagnant d’innovations dans de multiples secteurs (agriculture, santé, transports) et d’immenses bénéfices en matière de développement humain, sous-tendant un accroissement rapide et inédit de la population, mais aussi de l’emprise humaine sur les écosystèmes.

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Cette révolution technologique, économique et écologique s’accompagne d’une révolution sociale tout aussi majeure : l’entrée dans la société des organisations. La révolution industrielle est ainsi marquée par la multiplication d’organisations privées et publiques qui produisent en masse, bureaucratisent, mécanisent, divisent et contrôlent le travail, mesurent les coûts, s’engagent dans des logiques de volume et de croissance, affectent des rôles, missions et responsabilités individuelles et collectives, étudient et segmentent les consommateurs, transforment la nature en ressource productive, organisent les marchés pour mieux les étendre, formalisent et diffusent des principes de bonne gestion.

La croissance de la taille et du pouvoir des organisations dans l’économie a longtemps alimenté de vifs débats dans la société. Dans l’Amérique des années 1960 déjà, John Kenneth Galbraith dénonçait l’emprise d’une technostructure de manageurs sur l’économie et la politique américaines, ou la création de besoins artificiels associés à la société de consommation. L’expansion des organisations se poursuivra par la suite. « Les grandes organisations ont absorbé la société », comme l’indiquait le sociologue des organisations et théoricien des risques Charles Perrow (1925-2019) dans l’article « A Society of Organizations » (Theory and Society n° 6/20, 1991).

Phénomène invisible

L’anthropocène est donc indissociable d’un « organocène », c’est-à-dire une ère où les organisations formelles deviennent un trait dominant de nos sociétés et sont, par là même, intrinsèquement liées aux dégradations écologiques irréversibles actuelles. Le paradoxe est que ce phénomène organisationnel est désormais si omniprésent et évident qu’il semble être devenu invisible et impensé, n’étant que rarement abordé comme une dimension du débat climatique. Tout se passe comme si l’organisation et sa gestion, ses dispositifs, outils et institutions, étaient une technologie invisible et neutre de l’anthropocène.

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