mercredi, juillet 3

L’extrême droite est aux portes du pouvoir. Nourrie par la défiance politique, le rejet de l’immigration, la montée des préoccupations sécuritaires, la vague n’est pas propre à la France, mais pour le pays, qui se croyait mieux protégé que d’autres démocraties par sa tradition républicaine, ses institutions, son scrutin majoritaire à deux tours, le choc est immense. Elue dans son fief d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), avec 58 % des suffrages exprimés, Marine Le Pen apparaît comme la grande gagnante du premier tour des élections législatives, dimanche 30 juin. Hors ses alliés ciottistes, son parti, le Rassemblement national (RN), a recueilli 29,3 % des suffrages exprimés, soit 9,4 millions de voix, 1,3 million de plus qu’au premier tour de la présidentielle de 2022, un niveau historique qui ne peut en aucun cas être imputé à l’inconscience de ceux qu’on nomme les « pêcheurs à la ligne » : loin de bouder les urnes, les électeurs se sont, cette fois, déplacés en nombre. Le haut niveau de la participation, supérieur de 20 points à celui d’il y a deux ans, montre que tous les camps se sont mobilisés, dans la foulée d’une dissolution qui restera comme l’un des actes les plus irresponsables qu’ait pu engager un président de la République dans l’exercice de ses pouvoirs.

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En 2017, Emmanuel Macron prétendait neutraliser l’extrême droite en incarnant un camp « progressiste » né sur les décombres du Parti socialiste (PS) et des Républicains (LR). Sept ans plus tard, il apparaît comme celui qui aura accéléré la marche du RN vers le pouvoir. L’opération « clarification » qu’il a lancée au lendemain d’élections européennes calamiteuses pour le pouvoir en place s’est soldée, dimanche soir, par le torpillage de la majorité présidentielle, qui se trouve reléguée de la première à la troisième place, loin derrière le RN et la gauche unie. Il en résulte un affaiblissement sans précédent de l’autorité présidentielle à un moment-clé de l’histoire de France : désavoué par les Français sur son mode de gouvernance et sur sa politique, Emmanuel Macron a également perdu le contrôle sur le parti qu’il a fait naître et sur les personnalités qui, dans son camp, prétendent lui succéder. Jamais il n’est apparu aussi isolé et aussi décrié.

La situation est d’autant plus dangereuse qu’il reste six jours à peine pour éviter le pire, empêcher le RN de disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Seule la constitution d’un front républicain puissant peut encore faire barrage à un parti qui, en dépit de toutes ses dissimulations, reste éminemment dangereux parce que sa politique découle de la préférence nationale, un concept qui revient à trier les administrés en fonction de leurs origines.

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La déclaration écrite d’Emmanuel Macron appelant, en début de soirée, à « un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour », alors que le nombre de triangulaires explose, s’inscrit dans la logique du front républicain. Lestée du poids de la défaite personnelle essuyée par le chef de l’Etat, elle n’a cependant pas pris le caractère solennel que les circonstances dictaient. Fidèle à son combat historique contre l’extrême droite, la gauche, de La France insoumise (LFI) au PS, n’a pas dérogé à appeler au front républicain.

Ce n’est, hélas, pas le cas de l’ancienne majorité présidentielle, qui, à force de se noyer dans les nuances, est apparue fort peu limpide : le premier ministre, Gabriel Attal, a certes déclaré qu’au second tour « pas une voix ne doit aller au Rassemblement national » mais le codicille ajouté par Edouard Philippe, selon lequel aucune voix ne doit « se porter sur les candidats du Rassemblement national ni sur ceux de La France insoumise », embrouille le jeu des désistements. Mû par la même défiance à l’égard de LFI, François Bayrou s’est déclaré partisan du cas par cas. La palme de l’indignité est revenue à la partie de LR non ralliée au RN, qui a refusé de donner la moindre consigne de désistement et de vote en tirant un trait égal entre l’extrême droite et l’« extrême gauche ».

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Au regard de la gravité de la situation, ces finasseries ou manquements sont impardonnables : ils contribuent à banaliser le vote en faveur de l’extrême droite alors qu’il reste très peu de temps pour tenter de construire l’ultime sursaut, en mobilisant toutes les valeurs attachées à la République. Dimanche 7 juillet, le pays ne joue pas seulement l’alternance, il risque la bascule.

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Le Monde

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