dimanche, octobre 6

Nico : Pourriez-vous nous indiquer, par parti plutôt que par coalition, les évolutions de sièges ?

Nicolas Chapuis Commençons avec un point sur les chiffres. Au sein du Nouveau Front populaire (182 sièges), La France insoumise a obtenu 74 députés (contre 75 en 2022), le Parti socialiste a obtenu 59 sièges (contre 31 en 2022), les Ecologistes ont progressé avec 28 élus (contre 23 en 2022). Les communistes ne seront pas assez nombreux (9) pour faire un groupe indépendant, il faudra s’entendre avec des dissidents LFI ou avec des divers gauche.

Au sein de la coalition présidentielle (168 sièges, contre 246 en 2022), Renaissance obtient 102 élus (contre 172 en 2022), le MoDem 33 députés (48 en 2022) et Horizons 23 députés (30 en 2022).

Au sein du bloc d’extrême droite, qui fait élire 143 députés, le RN en obtient 126, contre 89 en 2022 et les soutiens d’Eric Ciotti en obtiennent 17.

Enfin, la droite récolte 60 sièges.

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Fred : Si Gabriel Attal démissionne aujourd’hui et que les discussions sur le prochain prennent du temps, va-t-il y avoir un flou juridique ou bien la constitution prévoit cette situation d’une France sans premier ministre ?

Les règles sont assez floues, mis à part le fait que c’est le président de la République qui a la main pour nommer le premier ministre. Il n’y a pas de délai prévu, seulement des usages. Parmi ceux-ci : le fait que le premier ministre en place remette sa démission au lendemain du scrutin, ce qu’il a fait. Mais Gabriel Attal a déjà fait savoir qu’il était disponible pour assurer les affaires courantes, le temps qu’un nouveau premier ministre soit nommé. Il se différencie ainsi de l’un de ses rivaux pour reprendre la main sur le bloc central, Gérald Darmanin, qui a dit qu’il retournerait à Tourcoing sitôt l’élection passée. Gabriel Attal joue manifestement la carte de la responsabilité alors que les JO arrivent.

LM : Quelles sont les prochaines étapes jusqu’à la première séance de l’Assemblée Nationale ?

Emmanuel Macron a fait savoir qu’il attendrait la structuration de la nouvelle Assemblée pour se prononcer. Par rapport aux chiffres que je vous ai donnés en ouverture de ce tchat, des choses peuvent encore bouger à la marge (que feront les divers, les dissidents, etc.) pour avoir le rapport de force précis dans l’Hémicycle. La première session de la future Assemblée est prévue le 18 juillet. Il est possible que rien ne bouge jusque-là…

Mais, dans le même temps, la gauche veut pousser son avantage et faire émerger un nom issu de ses rangs. Ce sera l’objet des tractations de cette semaine. Toutefois, rien n’oblige le président à nommer le premier ministrable que la gauche aura désigné.

C’est le paradoxe de la courte période qui s’ouvre : Emmanuel Macron a perdu le scrutin hier, avec près de cent députés de moins pour sa coalition, mais institutionnellement c’est lui qui, jusqu’à la nomination d’un premier ministre, a les clés de la séquence. Et il entend manifestement faire valoir le fait que sa coalition a mieux résisté que prévu.

Paul : La gauche peut-elle vraiment gouverner le pays avec moins de 200 députés ? On entend depuis hier soir les représentants, notamment de LFI, dire qu’ils veulent appliquer tout leur programme. Comment serait-ce possible ? On voit mal des députés de la majorité voter pour des lois issues de la gauche…

La politique est entre autres une affaire de rapports de force. Par sa prise de parole très tôt dans la soirée, Jean-Luc Mélenchon a tenté d’imposer une ligne sans concession, notamment sur le programme du Nouveau Front populaire. Ce scénario ne résiste pas deux secondes à l’analyse du scrutin. Le NFP n’a pas les moyens de gouverner seul. S’il veut diriger le pays, il devra trouver des alliés. Trouver des alliés signifie faire des concessions, notamment programmatiques (mais pas que, sur les postes également…).

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La culture du consensus n’est pas dans l’ADN de la Ve République. C’est tout cet apprentissage que les partis politiques doivent faire s’ils veulent éviter le blocage. Encore faut-il savoir s’ils veulent vraiment l’éviter, ou s’ils veulent juste éviter d’être désignés comme les responsables de la situation.

Gargantua : Comment expliquer la différence entre les prévisions et les résultats du second tour ? Les désistements ne sont-ils pas pris en compte dans les prévisions ?

Les désistements avaient évidemment été pris en compte dans les calculs. Il faudra regarder en détail, circonscription par circonscription (nous sommes en train de le faire), mais manifestement, les instituts de sondage avaient sous-estimé la force du front républicain, estimant que les reports de voix pour faire barrage au RN seraient moins importants.

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Les instituts ne communiquent généralement pas sur les détails de leurs calculs (c’est leur cuisine interne, ils veillent à préserver leurs secrets de fabrication), mais il sera intéressant de leur poser la question, et nous le ferons évidemment.

A noter : les instituts sont assez fiables pour les estimations en voix (c’était le cas au premier tour, où les chiffres étaient plutôt justes). Les projections en sièges sont par nature beaucoup plus périlleuses (ce sont 577 petites élections en réalité).

Curieux : Est-ce que des alliances vont se créer ? Est-ce que des compromis vont être trouvés ? Ou on se retrouve dans une impasse totale et un blocus d’ego sur les années à venir ?

C’est tout l’enjeu de la séquence qui s’ouvre. Les partis ont quelques jours ou semaines pour montrer de quoi ils sont capables. C’est très complexe. A la fois, de nombreux Français seraient très déçus qu’ils ne parviennent pas à s’entendre alors qu’eux se sont mobilisés pour faire bloc face à l’extrême droite. En même temps, de nombreux électeurs à gauche seraient très déçus si la « victoire » du NFP se transformait en alliance sous la coupe de la coalition présidentielle. Et les très nombreux électeurs de l’extrême droite seront déçus que leur voix n’ait pas été entendue.

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Les partis politiques devront faire preuve de maturité ; les électeurs aussi. Dans un pays où l’affrontement politique est un art de vivre, comprendre que faire des compromis pour avancer n’est pas nécessairement une compromission sera difficile pour tout le monde.

Paul : Pourquoi ne prenez-vous pas en compte les élus d’outre-mer de gauche dans le NFP ? (En Guyane, Polynésie et nouvelle Calédonie notamment) Même question pour les divers gauche de France métropolitaine ?

Nous prenons en compte ceux qui se sont ouvertement déclarés en faveur du Nouveau Front populaire (NFP). Pour les autres, nous attendons de savoir s’ils siégeront dans un groupe à part (comme le groupe LIOT de la précédente législature) ou non.

Les chiffres actuels risquent d’être légèrement différents de ceux des groupes politiques à l’Assemblée d’ici au 18 juillet. Or, dans une Assemblée où chaque voix comptera, cela aura son importance, et les élus de l’outre-mer auront un rôle certain.

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Max : Les Français peuvent-ils être amenés à revoter des législatives dans l’année qui suit ou l’Assemblée est-elle figée pour un an ? En cas de motion de censure, est-ce uniquement le gouvernement qui peut être modifié ?

Le président ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale avant un an. Ce qui, je ne vous le cache pas, nous soulage un peu : les trois dernières semaines ont été très intenses pour les journalistes chargés de la couverture des élections, notamment au service Politique et aux Décodeurs, dans une rédaction déjà très mobilisée à l’année et qui se préparait aux Jeux olympiques.

En cas de motion de censure, le premier ministre devra démissionner, et Emmanuel Macron devra en nommer un nouveau.

Il existe deux scénarios dans lesquels les Français sont à nouveau appelés aux urnes cette année : un référendum et une démission d’Emmanuel Macron qui entraînerait une nouvelle élection présidentielle.

Vu d’ici, nous préférerions souffler quelques jours avant d’envisager un nouveau scrutin.

Lassay : On parle beaucoup du futur premier ministre mais peu ou pas de la présidence de l’Assemblée nationale. Au vu de la nouvelle configuration de l’hémicycle, qui (ou quel parti) pourrait être élu président de l’Assemblée nationale ?

C’est une très bonne question. Si l’on raisonne en groupes, le RN risque d’être le premier dans l’hémicycle. Mais il semble peu envisageable que les autres partis laissent la présidence et tout ce que cela représente à l’extrême droite. Derrière, Renaissance formera le deuxième groupe.

Le NFP sera le premier bloc mais sera éclaté entre différentes forces. Charge à eux de faire émerger une candidature. Cela sera un élément important dans les négociations sur le premier ministrable. Une même force aura du mal à réclamer Matignon et le perchoir.

Pax : Vous dites que la culture du compromis n’est pas dans l’ADN de la Ve République : est-ce un constat (depuis le début de la Ve, les groupes n’ont jamais fait preuve de compromis) ou est-ce lié aux institutions ? Dans le cas de la seconde option, quel changement institutionnel pourrait faciliter les compromis entre groupes ?

Les deux ! C’est un constat : jamais une coalition de gauche et de droite n’a dirigé le pays sous la Ve République (comme c’est le cas chez de nombreux pays voisins). Par ailleurs, les institutions de la Ve République ont été pensées pour mettre fin à l’instabilité des coalitions qui prévalaient sous la IVe. Le mode de scrutin des législatives à deux tours est habituellement destiné à faire émerger des majorités, par rapport à une élection à la proportionnelle, par exemple.

Do : Pourriez-vous donner les résultats en nombre de voix par groupe ? Est-ce que le RN a augmenté ou diminué son nombre de voix au second tour ?

Les nombres de voix au deuxième tour sont à prendre avec des pincettes. La coalition de gauche s’étant désistée dans près de 130 circonscriptions (où elle a donc fait zéro voix), le chiffre global n’est pas très parlant. Idem pour Ensemble, qui s’est désisté dans près de 80 circonscriptions.

Il faudrait également retirer les circonscriptions où ils ont été éliminés au premier tour, et celle où un candidat a été élu dès le premier tour.

Ceci étant dit, le RN fait 8,7 millions de voix et leurs alliés 1,3 million, le NFP engrange 7 millions de voix et la coalition présidentielle 6,5 millions.

G. Abitbol : Savez-vous combien de députés RN ont finalement été élus faute d’un « désistement républicain » permettant d’éviter les triangulaires ?

Plusieurs chiffres intéressants sur les désistements et le front républicain :

Le RN a remporté 10 des 11 triangulaires dans lesquelles il était arrivé en tête au premier tour et où il n’y avait pas eu de désistement.

Le RN n’a pas remporté d’autre triangulaire (il y en avait en tout 69 avec le RN présent).

Le RN a perdu la plupart de ses duels (après désistement ou non) : le RN a perdu 90 duels sur 150 face au NFP, il a perdu 111 duels sur 132 face à la coalition présidentielle et 39 duels sur 45 face à la droite.

Les reports de voix ont donc manifestement été plus massifs de la gauche vers le centre et la droite que l’inverse.

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Tonhito : La troisième place du RN est une (divine) surprise. Peut-on savoir, en nombre de voix, s’il y a eu une baisse de mobilisation par rapport au premier tour ?

En conclusion, j’appellerais à la modération sur la « divine surprise » que représenterait la troisième place du RN.

Certes, il s’agit d’une déconvenue pour le RN, pour trois raisons. Premièrement, parce qu’ils s’y « sont vus » et que la déception dans leurs rangs est immense aujourd’hui. Deuxièmement, parce qu’en politique le récit est important et que Marine Le Pen, qui écrit patiemment celui de son inéluctable victoire à venir, a une fois de plus démontré son incapacité à convertir sa dynamique dans les urnes, face à une majorité de Français qui ne veulent pas de l’extrême droite au pouvoir. Troisièmement, parce que cette élection a mis en lumière, encore une fois, l’immense amateurisme de ce parti, malgré son ripolinage, avec une série de candidats racistes, homophobes, antisémites ou tout simplement incapables, qui ont émergé dans la précipitation.

Ceci étant posé, voici quelques données sur la « défaite » du RN :

  • On l’a dit : le RN est ses alliés ont réuni près de 10 millions de voix lors d’un second tour des législatives ;
  • 157 de ses candidats ont perdu, mais en faisant plus de 40 % au deuxième tour, 76 d’entre eux ont fait plus de 45 % ;
  • le RN est le groupe qui progresse le plus par rapport à 2022 et sera le premier groupe de l’Assemblée ;
  • le RN a fait élire 80 de ses députés sortants (sur 89) et avait fait élire 39 députés au premier tour ;
  • le RN a réussi à débaucher le président du principal parti de droite et dispose désormais d’un groupe allié à l’Assemblée ;
  • le RN va bénéficier d’une manne financière comme il n’en a jamais connu.

Je pourrais certainement trouver d’autres choses à ajouter, comme le fait que le RN n’aura pas à gérer la période compliquée qui s’ouvre et sera dans sa position préférentielle, celle d’une opposition stérile antisystème.

Pour ma part, je retirerais le « divine », et je parlerais juste de surprise : oui, le RN était attendu à la première place et il a fini troisième.

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Le Monde

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