La vie, estimait la romancière irlandaise Edna O’Brien, avait été généreuse avec elle. Comme elle le confiait dans son autobiographie, Fille de la campagne (éd. Sabine Wespieser, 2013), elle « avai[t] connu les extrémités de la joie et du chagrin, (…) la renommée et le massacre ».
Cette grande dame des lettres irlandaises, à la rousseur flamboyante, morte samedi 27 juillet, à l’âge de 93 ans selon son éditeur, Faber Books, était aussi l’une de ses plus scandaleuses émissaires. Née le 15 décembre 1930 à Tuamgraney, dans le comté de Clare, sur la côte ouest de l’Irlande, cette benjamine d’une fratrie de quatre enfants avait quitté sans regret l’univers étouffant dans lequel elle avait grandi, entre une mère d’une religiosité « médiévale » et un père alcoolique et violent qui avait dilapidé la fortune familiale au jeu.
Après le pensionnat catholique, puis des études de pharmacie à Dublin, elle avait épousé, contre l’avis de ses parents, l’écrivain irlandais et juif d’origine tchèque Ernest Gébler, de seize ans son aîné. C’est à Londres, où elle l’avait suivi en 1958, qu’elle trouva « la liberté et l’incitation à écrire », y rédigeant à la demande d’une maison d’édition et en trois semaines Les Filles de la campagne (Fayard, 1988), qui la rendrait immédiatement célèbre, dès sa parution en 1960. Premier volet d’une trilogie, ce roman sur deux jeunes filles ayant quitté leur foyer autoritaire et leur couvent pour les aventures d’une vie sans contraintes à Dublin, fut aussitôt interdit dans son pays natal pour obscénité. Tout comme ses six livres suivants.
Divorcée, au milieu des années 1960, de son mari, jaloux de son succès, Edna O’Brien, mère de deux enfants, se consacra entièrement à l’écriture, ajustant son style, mélange de langue crue et d’envolées lyriques. Elle vécut le bouillonnement du swinging London, recevant chez elle Marianne Faithfull, Paul McCartney et Jane Fonda, et jusque dans son lit Marlon Brando et Robert Mitchum.
L’Irlande, et au-delà
Ses livres traitent souvent de la condition des femmes dans une société conservatrice, et de liaisons amoureuses vouées à l’échec. Ainsi dans Le Joli Mois d’août (1965, chez Fayard en 1998), où une épouse déserte son foyer pour s’adonner à des parties fines sur la Côte d’Azur avant d’être ramenée à la réalité par la mort accidentelle de son fils.
L’Irlande qu’elle avait fuie, Edna O’Brien y revenait toujours. Dans Crépuscule irlandais (2006, éd. Sabine Wespieser, 2010), elle explore les liens entre une mère restée sur une terre natale écrasée par le poids de ses traditions et sa fille, exilée volontairement à Londres.
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