« Je reçois parfois des dossiers totalement farfelus », confesse Didier Grevel, délégué général de l’Association pour le développement de la librairie de création, qui aide financièrement les libraires à s’installer, à reprendre un bail ou à passer un cap délicat. Le dernier est effectivement assez savoureux : « Un concept de librairie câlinothérapie dans laquelle le client pourrait acheter des livres, tout en caressant des lapins… On m’a même présenté un budget pour la litière et l’alimentation des lapins », s’amuse-t-il.
Depuis la pandémie de Covid-19, les nouvelles librairies ont poussé comme des champignons dans l’Hexagone, pays où le maillage est déjà l’un des plus serrés de la planète, avec près de 3 500 magasins. « Entre 2019 et 2023, nous avons compté 574 nouvelles librairies », souligne Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF). Un phénomène inédit par son ampleur, qui complète l’offre existante, mais que le secteur a parfois du mal à intégrer en raison des risques de saturation et de cannibalisation.
Selon une étude commandée et publiée en juin par le SLF à la société de conseil Axiales, le résultat s’avère financièrement très mitigé pour ces nouveaux venus. Seuls 40 % des gérants ayant ouvert depuis plus de deux ans arrivent à se payer plus d’un smic par mois et, ce qui est plus préoccupant, la moitié d’entre eux n’y parvient pas. Confrontés à une litanie de difficultés, ces nouveaux libraires ont tendance à déchanter. Ils citent sans hésiter la « faiblesse de la rentabilité », la « charge de travail », mais aussi les « complexités issues de la surproduction de livres ».
Ils ont essaimé dans toute la France, surtout à Paris, mais aussi en Bretagne, en Gironde, dans le Rhône et les Bouches-du-Rhône, précise l’étude d’Axiales. Ces commerçants ont choisi majoritairement des petites villes. Un sur cinq est même situé dans une commune de moins de 5 000 habitants. Didier Grevel a tenté de dissuader des couples qui gagnaient bien leur vie dans une grande métropole et rêvaient d’ouvrir une librairie à deux pas de leur résidence secondaire. Certains n’ont pas réfléchi, « se sont jetés de l’avion sans vérifier s’ils avaient un parachute dans le dos », remarque-t-il. Et d’ajouter : « Mais même un brillant ingénieur, s’il installe une librairie dans un village de 1 500 habitants, ça ne marchera pas. »
Trois quarts de ces nouveaux magasins sont généralistes et 25 % proposent un espace café, dans l’espoir d’atténuer les risques. Pour tous, les trois premières années restent les plus compliquées. Dans le classement Xerfi de juin 2024 sur la rentabilité de quinze types de commerces établis, les librairies figurent en queue de peloton, dans le trio des moins rentables (avec 1,1 % de marge nette), aux côtés des fleuristes et des marchands de chaussures.
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