mercredi, novembre 13

C’est une histoire méconnue, presque oubliée, qu’on n’arrive à reconstituer que par touches impressionnistes. Celles-ci dessinent une relation entre deux pays, nouée au creux de la guerre froide, bâtie au nom de l’amitié socialiste et qui a subsisté dans le cœur des hommes jusqu’à aujourd’hui. C’est une histoire d’amour entre l’image d’une nation et les habitants d’une ville des hauts plateaux algériens, Tiaret, à laquelle le destin n’a réservé ni l’opulence ni la renommée.

Dans les rues de cette ville située aux portes du Sahara, à 230 kilomètres au sud-est d’Oran, dans une wilaya (région) de près de 900 000 habitants, on rêve d’Allemagne depuis cinquante ans. Dans les gradins du stade où les jeunes se rendent pour soutenir l’équipe locale, la JSM Tiaret, c’est le drapeau allemand qu’on brandit avec passion. Sur les écharpes des supporteurs, le bleu et blanc de la ville se mêlent au noir, rouge, jaune de la Mannschaft, l’équipe nationale de football d’Allemagne.

Sur un mur du centre, l’aigle impérial a été dessiné. Il arbore sur la poitrine le croissant de lune et l’étoile algériens. Dans les échoppes des quartiers, des téléviseurs diffusent des chaînes où l’on parle la langue de Goethe. Une situation unique dans le pays. Pour la jeunesse désœuvrée de cette région céréalière, l’eldorado n’est pas français. Il s’appelle Francfort, Stuttgart ou Berlin.

Mettre fin à l’émigration vers l’ancien colonisateur

Dès leur plus tendre enfance, les Tiarétiens goûtent son évocation à travers la figure d’un cousin qui vient au volant de sa BMW rutilante passer l’été au pays, celle d’un voisin qu’on a entendu vanter ces contrées où « tu as des droits, tu peux faire ta vie, avoir un travail et un logement ». Mais aussi à travers la parole des anciens qui racontent ce passé lointain, quand tout a commencé et qu’ils sont allés par centaines se former aux métiers de la sidérurgie ou de la chimie en République démocratique d’Allemagne (RDA) et en sont revenus riches d’un vécu pouvant susciter mille désirs.

A l’époque, Houari Boumédiène (1932-1978) préside la jeune République algérienne démocratique et populaire. Figure des non-alignés, il ambitionne de faire de son pays une puissance industrielle en s’appuyant sur ses ressources pétrolières. Déterminé à asseoir son autonomie économique à l’égard de la France, il contribue à mettre fin à l’émigration de main-d’œuvre vers l’ancien colonisateur, en dénonçant le climat de racisme et les mauvaises conditions d’emploi qui y règnent. Une position qui coïncide, en France, avec la fin des « trente glorieuses » et la mise en place d’une politique d’immigration restrictive.

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