C’est une décision historique de la plus haute instance juridique du Canada. Lorsqu’une personne est tenue par son partenaire de porter un préservatif pendant une relation sexuelle mais qu’elle ne le fait pas, elle peut être reconnue coupable d’agression sexuelle, a tranché la Cour suprême canadienne, dans une décision de 187 pages rendue vendredi 29 juillet.
La cour avait été saisie en novembre dernier dans le cadre d’une affaire survenue en Colombie-Britannique. La plaignante avait consenti à avoir des relations sexuelles avec l’accusé, mais seulement s’il portait un préservatif, ce dont ils avaient convenu en amont. Si lors d’un premier rapport l’homme portait bien un préservatif, il n’en a pas mis la deuxième fois, faisant mine de se tourner vers sa table de chevet pour en prendre un, ce que sa partenaire n’a réalisé qu’une fois le rapport terminé. « Sous le choc et paniquée », la jeune femme s’est entendu répondre par son partenaire qu’elle « pourrait simplement se faire avorter » si elle tombait enceinte et que « les gens pouvaient maintenant vivre avec des infections comme le VIH, la chlamydia et la gonorrhée ».
L’homme a enfin affirmé par message qu’il s’était senti « trop excité » pour mettre un préservatif, que l’idée que cela pourrait constituer une agression sexuelle était « très drôle », avant de lui envoyer une vidéo pornographique intitulée « Oh, mon Dieu, papa est venu en moi » et de lui proposer de « se faire sauter » par un groupe de ses amis. Par la suite, la jeune femme a suivi un traitement préventif contre le VIH de vingt-huit jours, aux effets secondaires lourds.
En première instance, le juge a rejeté l’accusation d’agression sexuelle, arguant que la plaignante avait donné son accord à une relation sexuelle, bien qu’il n’y ait pas eu de préservatif. Mais la cour d’appel de la Colombie-Britannique avait quant à elle ordonné un nouveau procès. L’accusé a alors demandé à la Cour suprême de trancher, laquelle s’est donc prononcée en faveur de la plaignante.
« Seul oui veut dire oui et non veut dire non »
Au nom des juges de la Cour suprême, Sheilah L. Martin a affirmé que lorsque le port du préservatif est une condition à la relation sexuelle, « il n’y a pas de consentement à l’acte physique qui consiste à avoir des rapports sexuels sans condom ». Le préservatif fait partie de l’« activité sexuelle » en question à laquelle la personne a consenti. Selon la Cour suprême, la plaignante a fourni des preuves qu’elle n’aurait pas eu de relation sexuelle avec l’accusé sans se protéger. « Puisque seul oui veut dire oui et que non veut dire non, “non, pas sans condom” ne peut vouloir dire “oui, sans condom” », écrit la juge Martin.
« Il y a aussi une certaine preuve que le consentement apparent de la plaignante a pu être vicié par la fraude », précise la cour dans sa décision, ajoutant qu’« il y avait au moins une certaine preuve de malhonnêteté par omission et de risque de privation en raison du risque de grossesse. Par conséquent, un nouveau procès doit être tenu. »
En octobre 2021, la Californie est devenue le premier Etat américain à punir le retrait non consenti d’un préservatif lors d’un rapport sexuel, aussi appelé stealthing. De plus en plus dénoncée, elle reste peu souvent punie par la loi à travers le monde.
Le stealthing transforme « une relation sexuelle consentie en relation non consentie » et est « vécu par beaucoup comme une grave violation de la dignité et de l’autonomie », notait l’avocate Alexandra Brodsky dans un article publié en 2017 par le Columbia Journal of Gender and Law, qui avait contribué à faire connaître cette pratique aux Etats-Unis. Mme Brodsky y soulignait l’existence de forums en ligne proposant des conseils sur la façon de retirer son préservatif sans que son ou sa partenaire s’en rende compte. Certains ont depuis été fermés.
En janvier 2017, un Français à qui il était reproché cette pratique avait été condamné par un tribunal de Lausanne, en Suisse, pour viol, à douze mois de prison avec sursis, une peine confirmée en appel, mais requalifiée d’« acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance ».
En Suède, Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, était accusé par une femme d’avoir engagé en août 2010 un rapport sexuel pendant qu’elle dormait et sans préservatif, alors qu’elle lui avait refusé tout rapport non protégé à plusieurs reprises, ce qu’il a toujours démenti. Le parquet a abandonné les poursuites en 2019.