dimanche, juin 30

Marine Le Pen a qualifié ce jeudi d' »honorifique » le rôle de chef des armées du président de la République, Emmanuel Macron.
En cas d’accession à Matignon de Jordan Bardella, l’ex-candidate à la présidentielle estime que ce dernier aurait « le moyen de s’opposer » par « le contrôle budgétaire » aux actions du chef de l’État.
Que prévoit concrètement la Constitution ? Explications.

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Élections législatives 2024

Une sortie qui ne passe pas inaperçue. Dans un entretien accordé au Télégramme ce jeudi, l’ex-candidate à la présidentielle et figure du Rassemblement national Marine Le Pen a donné sa vision du rôle de Jordan Bardella s’il accédait à Matignon, à l’issue des deux tours des élections législatives, les 30 juin et 7 juillet prochains. Le jeune eurodéputé, figure de proue de l’extrême droite française, ambitionne en effet de devenir Premier ministre si son parti obtient la majorité absolue à l’Assemblée. Et entend gouverner y compris dans le domaine de la défense, alors que la guerre en Ukraine continue de faire rage. 

Mais le peut-il seulement ?  La Constitution dispose de manière claire, dans son article 15, que « le président de la République est le chef des armées« . Selon le même texte, le Premier ministre se trouve quant à lui « responsable de la défense nationale » et chargé d’appliquer les décisions prises par le chef de l’État dans ce domaine. Dans son interview du jour, Marine Le Pen a livré plus de détails sur la manière dont l’action de Jordan Bardella pourrait se matérialiser. « Chef des armées, pour le Président, c’est un titre honorifique puisque c’est le Premier ministre qui tient les cordons de la bourse, a-t-elle avancé. Jordan n’a pas l’intention de lui chercher querelle, mais il a posé des lignes rouges. Sur l’Ukraine, le Président ne pourra pas envoyer de troupes. » Le locataire de l’Élysée n’a-t-il vraiment qu’un rôle « honorifique » en tant que chef des armées ? TF1info vous explique.

La supériorité du « chef des armées », un héritage gaullien

Pour comprendre le sens donné à cette répartition des pouvoirs lors de la rédaction de la Constitution de 1958, il faut se replonger dans le contexte de l’époque. Lorsque le général de Gaulle la présente aux Français par référendum cette année-là, il détient une certitude en matière de défense. Pour lui, il est nécessaire de donner au chef de l’État un important pouvoir pour diriger l’armée, notamment pour lui assurer une rapide capacité d’action en cas de conflit. Tout l’inverse de ce qui s’était produit en 1940, lors de la capitulation française contre l’Allemagne nazie, après plusieurs mois d’un commandement militaire erratique.

Une fois au pouvoir, de Gaulle se conformera entièrement à cette vision. Ses mandats de Président, entre 1959 et 1969, sont marqués par une forte subordination de Matignon à l’Élysée sur les dossiers militaires. « La politique militaire a toujours été considérée par le général de Gaulle comme l’un des domaines réservés au chef de l’État, écrivait d’ailleurs le journaliste spécialiste de la défense Jacques Isnard à l’époque dans les pages du Monde, dans un article daté de 1969. Lorsqu’il était Premier ministre, M. Pompidou s’est souvent laissé dessaisir des dossiers militaires au profit de l’Élysée. » De manière générale, le Président n’est pas seulement « chef des armées » au sens symbolique, c’est aussi « lui qui conduit les opérations extérieures » de l’armée, rappelait sur LCI ce jeudi le colonel Michel Goya, consultant militaire de la chaîne.

Dans les faits, une pratique plus partagée

Mais au fil des décennies, cette pratique s’est étiolée. D’autant que la Constitution prévoit des pouvoirs bien moins concentrés dans les mains du Président. En période de cohabitation, comme cela s’est déjà produit sous François Mitterrand et Jacques Chirac, le pouvoir du chef de l’État sur les questions militaires peut alors se retrouver limité. Si ce dernier incarne le pouvoir militaire, l’application des décisions ou des orientations qu’il entreprend est soumise au bon vouloir de son gouvernement, en vertu de l’article 20 de la Constitution, qui précise que ce dernier « détermine et conduit la politique de la nation » et « dispose de l’administration et de la force armée« .

Le texte indique aussi que le Président possède le pouvoir de diriger « les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale« , ces réunions qui permettent de déterminer les actions à mener dans le cadre d’un conflit armé, par exemple. Mais sa volonté, une nouvelle fois, peut être bloquée dans les faits par le Premier ministre, dont l’équipe gouvernementale possède le pouvoir réglementaire. « Le conseil de défense nationale n’a pas d’autorité, explique à TF1info Benjamin Morel, maître de conférences en droit public. Ses orientations, les délibérations qu’il prend, vont ensuite être concrétisées par les ministères. » 

« Un Premier ministre de cohabitation pourrait bloquer toute initiative »

Le juriste prend un exemple très concret pour illustrer cette répartition des pouvoirs : les Conseils de défense sanitaires, durant la crise du Covid-19. Présidés par Emmanuel Macron, ces derniers décidaient de toute une série de mesures durant la pandémie. « À un moment, le Conseil de défense sanitaire avait considéré qu’il fallait fermer les rayons des produits non-essentiels dans les supermarchés, rappelle Benjamin Morel. On fait l’annonce le soir, c’est merveilleux, mais il ne se produit rien. Ce qui fait qu’on ferme ces rayons, c’est un décret qui vient de Bercy. » Autrement dit : si le ministère de l’Économie n’avait pas été dirigé à ce moment-là par un responsable politique allié au président, cette règle n’aurait pas pu être imposée sur simple demande de l’exécutif. 

La situation pourrait se reproduire sur le plan militaire dans le cas de visions discordantes entre Emmanuel Macron et Jordan Bardella, si son parti emporte la majorité absolue aux élections dans quelques jours. « Dans le cas très concret d’envoi de conseillers militaires en Ukraine, soit on l’interprète comme un ordre de conduite de la guerre : alors, il n’y a pas besoin de passer par un Conseil de défense et le Président peut donner des ordres directement. Soit on considère qu’il s’agit ici d’un acte important et que c’est une nouvelle opération. Là, un Premier ministre de cohabitation pourrait bloquer toute initiative« , résume Michel Goya, toujours sur LCI. 

Au-delà du cas du Premier ministre, Emmanuel Macron pourrait aussi voir son hypothétique volonté d’envoyer des troupes en Ukraine entravée par une Assemblée nationale à majorité RN. Une décision qu’il peut prendre seul, mais dont la prolongation, au terme de quatre mois, doit être autorisée par un vote au Parlement, comme en dispose l’article 35 de la Constitution. 


Theodore AZOUZE

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