jeudi, janvier 9

Avec la mort de Jean-Marie Le Pen, mardi 7 janvier, à l’âge de 96 ans, disparaît l’une des personnalités politiques les plus sulfureuses de ces soixante-dix dernières années. Tout dans le parcours de ce natif de La Trinité-sur-Mer (Morbihan), marqué jeune par la pauvreté et le manque de père, est matière à polémique et à scandale : son comportement pendant la guerre d’Algérie, où, selon de solides témoignages, il s’est livré à la torture – une pratique qu’il a défendue par la suite –, ses déclarations antisémites, son goût pour le coup de poing, son esprit clanique, les conditions dans lesquelles lui, le fils de marin, est devenu chatelain, à l’occasion d’un legs controversé, installant dans le domaine de Montretout, sur les hauteurs de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) le clan Le Pen, dont l’histoire plus que mouvementée ressemble à celle des Atrides…

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Elu député, en 1956, à l’âge de 27 ans, sous la bannière du parti de Pierre Poujade, engagé chez les parachutistes pour défendre l’Algérie française, dont il déplorera toute sa vie la disparition, cet aventurier de la politique aurait pu dépérir avec la IVe République en vouant aux gémonies de Gaulle aussi bien que la gauche. Il est parvenu à renaître de ses cendres sous la Ve, en utilisant toutes les facettes de sa personnalité et les occasions qui se présentaient à lui pour faire prospérer l’extrême droite, jusqu’à ce coup de tonnerre du 21 avril 2002 où, à la stupeur générale, son visage se dévoile comme celui de l’un des deux finalistes de l’élection présidentielle.

Cynisme sans fard

Personnage trumpiste avant l’heure, sans filtre ni surmoi, Jean-Marie Le Pen a su sentir avant les autres et exploiter sans vergogne les peurs qui tenaillent les classes populaires et moyennes à l’heure de la mondialisation : l’immigration et l’insécurité, le spectre du déclassement, au prix d’un cynisme sans fard, car plus il multipliait les attaques contre « le système », plus il en devenait l’un des rouages.

Son acquis est d’avoir réussi à transformer un nom en marque, au terme d’une carrière faite de coups d’éclat, de traversées du désert et de guerres fratricides (tel la lutte contre le numéro deux du FN Bruno Mégret, en 1998). Mais cette marque est éminemment vénéneuse, tant son créateur a été loin dans l’antisémitisme (« Durafour crématoire »), le révisionnisme (« les chambres à gaz sont un détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale »), le racisme (« les Roms qui comme les oiseaux volent à leur état naturel »), la complaisance envers le national-socialisme (« dans “national-socialisme”, il y a “socialisme” »).

Tous les efforts entrepris, notamment en 2015, par Marine Le Pen pour marginaliser son père et tenter de dédiaboliser l’héritage, au prix d’un éprouvant bras de fer politique et judiciaire, n’y feront rien. Même rebaptisé « Rassemblement national » au lieu de « Front national », avec une orientation plus populaire et moins droitière, le parti de Marine Le Pen reste marqué du sceau de l’extrême droite, dans l’ombre portée de son fondateur. Le comportement de plusieurs candidats RN lors des dernières élections législatives a montré à quel point le vernis était fragile.

Et ce ne sont pas les réactions de Jordan Bardella à la mort du patriarche qui lèveront le doute. A l’instar de nombreux cadres du parti, le président du RN n’a pas éprouvé le besoin de pratiquer le droit d’inventaire. Il n’a pas fait le tri dans le bilan, vantant l’action d’un homme qui « a toujours servi la France, défendu son identité et sa souveraineté », dans « l’armée française en Indochine et en Algérie ». Jean-Marie Le Pen a beau être mort, il est toujours là.

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Le Monde

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