lundi, juillet 1

Il a grandi au bord d’une plage immense, dont il fait défiler les photos sur son smartphone. « Tu as vu comme c’est beau ? » Bilal (tous les prénoms ont été modifiés) s’arrête sur celle d’une crique. C’est de là que le bateau a quitté l’Algérie. Il est fier de montrer tout ce bleu scintillant qui lui manque, même s’il a appris à aimer les montagnes et la neige.

A 20 ans, voilà près de deux ans qu’il vit quelque part dans le sud de la France, un endroit qu’il n’a pas choisi mais où une association l’a exfiltré pour sa sécurité, à l’été 2022. Parce qu’il a dénoncé deux adultes qui contraignaient des mineurs isolés de la capitale, comme lui, à commettre des vols sous psychotropes, Bilal s’est mis en danger : le risque de représailles était trop important et la possibilité de se reconstruire en restant à Paris trop mince.

Lorsqu’elle le rencontre, en mars 2022, Catherine Delanoë Daoud, appelée à la rescousse par l’association Hors la rue qui suit le jeune homme, découvre un grand adolescent qui « alterne des phases d’excitation avec de longs moments d’abattement ». Malgré son état, l’avocate lui trouve une « grande vitalité » et « beaucoup d’humour ». En parcourant le dossier vert pâle préparé par l’association, elle est effarée par la longue liste des agressions qu’il dit avoir subies de la part de ceux qu’il a d’abord pris pour des « protecteurs ». Les rapports médicaux et les photos prises après l’une de ses nombreuses agressions la bouleversent. « Je me suis dit : “C’est du lourd.” Je n’avais jamais vu autant de chair à vif. » Ce qu’a vécu Bilal est grave.

La drogue du pauvre

C’est une histoire qui commence dans l’un de ces bidonvilles tentaculaires qui s’étendent autour d’Oran, au nord-ouest de l’Algérie. Bilal est le benjamin d’une famille de sept enfants. Le père est agent de sécurité, la mère, femme au foyer. « C’était la galère », résume Bilal, qui livre un rare témoignage sur les parcours des mineurs non accompagnés – Emmanuel Macron les a évoqués lors de sa conférence de presse du 12 juin et promis « un meilleur contrôle » de cette question. Peu de moyens, une scolarité erratique – Bilal n’est pas allé au collège –, la tristesse qui aspire la famille à la mort de sa sœur, en 2014.

Il n’a pas 13 ans quand il commence à travailler dans la boucherie de son beau-frère. Il apprend à vider des poulets, à fabriquer des saucisses, à hacher des oignons et à manipuler des épices. Ça, c’est la journée. La nuit, il sort en mer. La pêche à la sardine, Bilal en parle comme d’un rêve. Il adorait ça. « C’était magnifique, se souvient-il. Et quand tu manges ta sardine, fraîche, juste sortie de la mer… C’est magnifique ! » Il pourrait en parler des heures, « du gros bateau et du petit bateau, le même que j’ai pris pour quitter le bled », de la lumière sous l’eau pour attirer les poissons, de l’attente. Il décrit minutieusement les gestes. « C’était très fatigant mais j’aimais ça. » Une fois, le filet est remonté si plein qu’il a touché l’équivalent en dinars de 50 euros pour la nuit. Ça n’est plus jamais arrivé. En général, il se mettait entre 5 et 20 euros dans la poche et quelques sardines.

Il vous reste 82.53% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version