mercredi, mai 22
 Paul Auster, à Paris, en 1998.

Comment naît un écrivain ? Pour Paul Auster, l’affaire s’est jouée à 8 ans. Passionné de base-ball, il est alors en dévotion devant l’« incandescent » Willie Mays, un des « Giants » de New York. Un jour, à la sortie d’un match, il croise son idole et lui demande un autographe. « Bien sûr, fiston, répond Mays. T’as un crayon ? » Le garçon n’a rien pour écrire. Ni son père. Ni personne. « Désolé, fiston » : pas de crayon, pas d’autographe. Auster fond en larmes, raconte-t-il dans Pourquoi écrire ? (Actes Sud, comme l’ensemble de son œuvre traduite en France). « Depuis ce soir-là, j’ai toujours eu un crayon sur moi, où que j’aille. Et je le dis volontiers à mes enfants, c’est comme ça que je suis devenu écrivain. »

Près de sept décennies plus tard, le gamin au crayon est mort, dans sa maison de Brooklyn, à New York, mardi 30 avril dans la soirée, a annoncé le New York Times. Il avait 77 ans, et une quarantaine de livres derrière lui, traduits dans plus de 40 langues. Romancier, mais aussi poète, traducteur, critique, essayiste et scénariste, l’auteur de Moon Palace (1990), Léviathan (1993), Seul dans le noir (2009) ou encore Baumgartner (2024) avait noirci des milliers de pages, jusqu’à devenir un immense écrivain américain. L’un des plus brillants de sa génération, le plus francophile aussi. Un orfèvre dans l’art du récit, plongeant dans son enfance, son histoire, ce qu’il appelait sa « zone intérieure », pour nourrir des textes romanesques, autobiographiques ou même politiques d’une intelligence et d’une sensibilité extrêmes. Il savait retracer comme nul autre la vie de ses personnages ou la sienne dans toute leur amplitude, leurs contradictions, leurs sinuosités, leurs bifurcations liées parfois à d’apparents hasards.

Son épouse, Siri Hustvedt, écrivaine elle aussi, avait annoncé en mars 2023 qu’il souffrait d’un cancer, diagnostiqué en décembre après plusieurs mois de maladie. Paul Auster était soigné au Memorial Sloan Kettering Cancer Center, à New York. « Je vis dans un endroit que j’ai fini par appeler Cancerland », écrivait Siri Hustvedt : « Vivre avec quelqu’un qui a un cancer et qui est bombardé de chimiothérapie et d’immunothérapie est une aventure de proximité et de séparation. »

« L’invisible frontière entre la vie et la mort »

En 1982, c’est par le récit d’une autre séparation, le décès brutal de son père, trois ans plus tôt, que Paul Auster était entré sur la scène littéraire. La mort, « on peut l’accepter avec résignation au terme d’une longue maladie », écrivait-il dans le premier paragraphe de son premier livre, L’Invention de la solitude, où il tentait de cerner qui était son père. « Mais qu’un homme meure sans cause apparente, qu’un homme meure simplement parce qu’il est un homme, nous voilà si près de l’invisible frontière entre la vie et la mort que nous ne savons plus de quel côté nous nous trouvons. La vie devient la mort, et semble en avoir fait partie depuis le début. »

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