« On m’a toujours dit : profite de tes 18 ans et de tes premières années d’études, c’est la meilleure période de ta vie », se souvient Estelle (les étudiants interrogés n’ont pas souhaité donner leur nom de famille), 25 ans. Alors lorsque l’heure vient pour elle de quitter le cocon familial pour s’installer à Lille et débuter sa licence d’anglais, la jeune femme veut respecter à la lettre ce conseil qu’on lui a répété sans cesse.
Elle multiplie les soirées d’intégration et les verres après les cours. Avec un objectif : « J’ai eu une adolescence très stricte où je ne pouvais pas sortir. En arrivant à Lille, j’avais hâte de rencontrer des gens qui me ressemblaient. Je les cherchais partout, ces gens. » Stimulée par sa nouvelle vie, Estelle ne se rend pas compte qu’elle sort tous les soirs. « Pendant plusieurs mois, je n’ai pas passé une soirée seule chez moi. Je n’avais plus de vie en dehors des soirées, ma vie c’était d’être dehors et d’être avec des gens. Je suis devenue le fantôme de moi-même », observe-t-elle des années plus tard.
Estelle s’est rendu compte qu’elle avait un problème au moment de la pandémie du Covid-19. De retour chez ses parents dans la campagne nordiste, elle prend d’abord du temps pour se reposer, récupérer de ses trois années effrénées de vie étudiante. « Une fois la fatigue passée, j’ai ressenti un sentiment de manque, j’avais encore peur de rater une soirée alors que le monde s’était complètement arrêté », raconte-t-elle. Cette inquiétude qu’a ressentie Estelle s’appelle le syndrome du Fomo (acronyme de Fear of Missing Out). « Le Fomo est la peur de rater quelque chose, de ne pas être dans le coup, explique Maïté Tranzer, psychologue clinicienne à Paris. Dans le cadre de la vie étudiante, les jeunes vont aller en soirée “au cas où”, pour ne pas regretter de ne pas y avoir été ».
« Je devais être partout, tout le temps »
D’après Maïté Tranzer, ce sentiment est très fréquent au moment de l’intégration étudiante : « Lorsque l’on débute ses études, on veut souvent rentrer dans le moule sinon on se sent vite en décalage et on peut se sentir rejeté. Cela peut renforcer des blessures du passé. On veut à tout prix être présent pour valoriser son estime, rechercher de l’attention, être considéré. »
Le sociologue Julien Berthaud, docteur en sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne, a travaillé sur l’intégration sociale étudiante à l’université. Il décrit cette période comme un « processus double avec tout un tas de transitions et de ruptures entre le lycée et le supérieur », deux univers très différents. « Les jeunes étudiants passent d’un environnement très cadré avec des horaires fixes à un lieu où il faut se débrouiller par soi-même, avec un réseau qui n’est généralement pas le même qu’avant. L’étudiant doit à la fois se créer son identité au sein de ce réseau et en acquérir les codes », analyse-t-il.
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