mardi, mai 21

LETTRE DE MALMÖ

L’ancienne dirigeante du Parti conservateur suédois, Anna Kinberg Batra, au centre de l’image, à Stockholm, le 27 décembre 2014.

Certains se souviennent peut-être de l’affaire dite du Toblerone. En 1995, Mona Sahlin, ministre du travail et favorite pour diriger le Parti social-démocrate, avait dû démissionner après qu’un journal avait révélé qu’elle avait utilisé la carte de crédit de son ministère pour payer ses courses – dont une barre du célèbre chocolat suisse. Longtemps, cette anecdote et d’autres similaires ont alimenté l’idée, à l’étranger, que la Suède avait une tolérance zéro à l’égard de tout ce qui pourrait ressembler, de près ou de loin, à de la corruption.

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Les Suédois ont eux aussi cru à ce narratif, confirmé d’ailleurs régulièrement par l’ONG Transparency International, qui plaçait le royaume scandinave en tête du classement des pays considérés comme les moins corrompus. Ils sont en train de comprendre qu’ils se sont peut-être trompés. « Le problème est que la corruption ne fait pas partie de l’image que nous avons de nous-même. De ce fait, on ne qualifie pas de corruption ce qui pourtant en est et c’est comme si cela n’existait pas », constate Olle Lundin, professeur de droit public à l’université d’Uppsala et un des plus grands spécialistes du sujet en Suède.

Une affaire défraie actuellement la chronique : l’ex-leader du Parti conservateur, Anna Kinberg Batra, nommée gouverneure du comté de Stockholm en mars 2023, est accusée d’avoir embauché au moins trois de ses proches, à des postes grassement rémunérés, sans avoir cherché d’autres candidats – si ce n’est en affichant une annonce, dans un couloir, près de son bureau. « Bien sûr, rétrospectivement, je comprends que ce n’était pas bien », a-t-elle reconnu, répondant aux critiques de ceux qui l’appelaient à démissionner.

Mais trois semaines après que le scandale a éclaté, Mme Kinberg Batra est toujours en poste. Le parquet chargé de la lutte contre la corruption a renoncé à ouvrir une enquête. Selon Olle Lundin, la gouverneure du comté de Stockholm peut dormir tranquille : « Dans quelques semaines, tout le monde aura oublié cette affaire. » Dans le débat public, il est d’ailleurs un des seuls à oser parler de corruption, « parce que c’en est et qu’on le dirait dans n’importe quel autre pays », martèle-t-il, évoquant un phénomène « très répandu » et trop longtemps sous-estimé, qui s’étend bien au-delà des petits arrangements entre amis de Mme Kinberg Batra.

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« Une culture du silence »

Les Suédois commencent d’ailleurs à s’en rendre compte. En janvier, la Suède a enregistré son plus mauvais placement dans l’indice de perception de la corruption, réalisé chaque année depuis 1995 par Transparency International. Sixième, le pays nordique reste très bien classé, mais son score n’a jamais été aussi bas et, surtout, le royaume se retrouve derrière ses voisins finlandais, danois et norvégien. Dans le dernier baromètre européen sur l’attitude des citoyens à l’égard de la corruption, publié en mai 2023, 36 % des Suédois interrogés estimaient que la corruption est « tout à fait ordinaire » dans leur pays, contre 32 % en 2022.

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