lundi, septembre 23

Le 22 février 2024, Angela Rostas, enceinte de sept mois, est tuée par balles chez elle à Chênex, en Haute-Savoie.
Après quatre mois d’enquête, deux suspects sont mis en examen et placés en détention provisoire pour « meurtre et tentative de meurtre commis en raison de la race ».
La femme rom de 40 ans laisse derrière elle un mari et deux jeunes filles, reparties vivre en Roumanie.

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Sept à huit

« Ce soir-là, ma femme a commencé à préparer à manger. Après quelques minutes, on a entendu un coup de feu ». Recueilli devant la caravane où il résidait, il est marqué par l’émotion, la barbe visible comme le veut la tradition du deuil chez les roms. Tarzan Rostas raconte le jour où sa vie a basculé. Ce soir du 22 février 2024, au cours duquel sa femme, enceinte de sept mois, est tuée par balle devant leur mobil-home de Chênex, en Haute-Savoie. « On a entendu un gros bruit » puis « encore un coup de feu », se souvient-il. 

« Ma femme est sortie et a poussé un cri. J’ai vu que du sang coulait de son ventre. Elle était enceinte, on allait avoir notre troisième enfant. Il restait deux mois avant la naissance et c’était un garçon. J’étais heureux », témoigne le père de deux jeunes filles dans le reportage en tête de cet article avant de poursuivre le récit de cette terrible nuit. « J’ai pris mes deux filles dans mes bras, et on pleurait. Leur maman était là. Morte ».

Une vie intégrée en Suisse et des tensions en France

Tarzan et Angela Rostas sont des roms. La quarantenaire aurait été victime d’un crime de haine, commis par deux chasseurs, sur fond de rumeurs et de préjugés racistes dans la vallée. Originaires de Roumanie, Angela et son mari arrivent d’abord en Suisse, en 2010. Pour subvenir à leurs besoins et ceux de leurs deux filles, le couple mendie à Genève. Angela, elle, est très vite acceptée et apprécie dans le quartier populaire dans lequel elle a l’habitude de s’installer, et où ses filles sont scolarisées. Elle devient même bénévole à la paroisse locale. Après quelques années dans la rue, la famille s’installe à quelques kilomètres, de l’autre côté de la frontière, en France, dans une petite caravane posée en lisière de forêt. 

Le terrain appartient à Jean-Michel et Dominique Favre, d’importants exploitants agricoles dans la région. Ils décident de tolérer la présence des Rostas sur leurs terres, mais ils sont bien les seuls et la famille est rapidement jugée. « Ils faisaient parfois des vidanges de voiture à côté de la caravane, des choses comme ça. Alors nos voisins nous montraient un peu du doigt en disant qu’on laissait faire des choses. Mais qui n’a pas fait une vidange dans la cour de sa maison ? Mais bon, vu que c’étaient des roms, on les montrait plus du doigt », déplore Jean-Michel. « J’ai des petits-enfants qui sont du même âge et ça m’aurait horrifié de les chasser comme ça », indique de son côté Dominique.

Angela Rostas bénévole à la paroisse locale de Genève – TF1

À deux reprises, alors que les Rostas sont absents, leur caravane est même incendiée. En 2023, pour respecter de nouvelles normes environnementales, Jean-Michel Favre est contraint de demander à la famille de quitter le terrain. « La maman m’a remercié quand ils sont partis », se remémore l’exploitant, les larmes aux yeux. « Ça me fait de la peine. Elle ne méritait pas ça, et les enfants encore moins ».

Deux jeunes chasseurs réunis dans la haine

Les Rostas installent alors leur mobil-home dans le village voisin de Chênex, sur un terrain communal. Pragmatique, le maire, Jean-Pierre Crastes, engage le dialogue avec la famille et lui donne accès à l’eau, provoquant la colère de certains administrés qui se plaignent des « nuisances réelles » et notamment « un défilé de véhicules, le soir, la nuit et la musique fort », assure l’édile. Il reçoit des plaintes, mais ne ressent pas « d’animosité personnelle », en tout cas « pas au point de lui vouloir du mal. Jamais ». 

Jusqu’au soir du 22 février, quand Angela Rostas est tuée devant son mobil-home. Une scène de crime mystérieuse où débarquent à la tombée de la nuit 15 enquêteurs de la section de recherche de Chambéry. « Les quatre hypothèses de travail qui se présentent à nous sont alors le féminicide, le différent familial, le règlement de compte et puis, nous ressentons assez rapidement une hostilité du voisinage, se remémore l’un des enquêteurs sur place. La quatrième hypothèse qui s’impose à nous, après quelques jours, c’est le mobile lié à la xénophobie ».

TF1

Premier indice : en bordure du bois, les gendarmes retrouvent des étuis de balles de calibre traditionnellement utilisé pour tirer du gros gibier. En étudiant la liste des téléphones bornant à proximité du mobil-home au moment du crime, plusieurs appels entre deux lignes attirent leur attention. Elles appartiennent à Mathias A. et Franck B., deux jeunes chasseurs de la région. Le 4 juin, ils sont interpellés, et l’arme du crime est retrouvée au domicile de Mathias A. Placé en garde à vue, ce dernier passe rapidement aux aveux.

« Franck m’a laissé au bord de la route, j’ai traversé les bois. Je me suis couché, allongé à plat ventre, avec l’arme posée sur mon bipied. J’ai tiré deux coups. J’ai visé la bonbonne de gaz, mais j’ai jamais visé quelqu’un. C’était pour leur faire peur », affirme-t-il lors de son audition. « Je n’avais rien spécialement contre ces personnes, si ce n’est que ces gens profitent de tout sur ces emplacements, personne ne dit rien et tout le monde les laisse faire. Ce sont des personnes invasives. Franck était dans la même haine ». 

Des accusations et des rumeurs de vol

Une haine qui se serait installée depuis plusieurs mois chez deux hommes qui n’avaient pourtant jusqu’ici jamais fait parler d’eux. Le tireur, Mathias A., est âgé de seulement 26 ans. Il est à la tête d’une petite entreprise de BTP que lui a transmis son père et président de la société de chasse de sa commune. « Mathias est un brave gars, témoigne même une amie de la famille. Je pourrais vous dire l’inverse, mais ce n’est pas la vérité et vous ne trouverez personne dans le coin qui vous dira le contraire. C’est impossible pour moi ». Elle affirme même n’avoir jamais entendu le jeune homme tenir des propos racistes.

Mathias A. et Franck B., les deux suspects dans le meurtre d’Angela Rostas – TF1

Mathias et son père auraient pourtant parfois montré un autre visage. Notamment auprès de la famille Rostas, dont le mobil-home est situé à côté de la chambre froide dans laquelle les chasseurs entreposent les carcasses. Tarzan Rostas affirme que le jeune homme se montrait ouvertement hostile. « Avec son père, ils faisaient des tours dans leur Jeep. Ils braquaient les phares de la Jeep sur le mobil-home. Moi, je disais bonjour et eux, ils ne répondaient rien », raconte le père de famille, qui est persuadé que cette attitude était due au fait qu’il soit tzigane. « Ils ne supportaient pas ».

En février 2023, le père de Mathias A. décède subitement. Une période durant laquelle le jeune homme renoue des liens d’amitié avec Franck B., un autre chasseur qu’il connaît depuis son enfance. Ce dernier est un plombier de 30 ans, lui aussi à son compte. Et les derniers mois, les deux jeunes hommes partagent un point commun : ils ont subi des vols. Du matériel professionnel dans un fourgon pour Mathias, des cambriolages pour Franck. Les deux amis soupçonnent des gens du voyage qui se sont installés récemment sur l’aire de voyage de la commune. Une communauté qui n’a aucun lien avec Tarzan et Angela Rostas.

Une première expédition punitive… 2 jours avant le drame

Une conviction partagée par la mère de Franck qui témoigne à visage caché. « La journée, ils arrivent, les gens du voyage. Ils arrivent en scooter, ils n’arrêtent pas de tourner, ils prennent des repères et ils attaquent la nuit », assure-t-elle, affirmant les « voir sur les caméras ». « Mais le temps que nous, on arrive, c’est déjà fait ». La femme va même plus loin, assurant qu’ils viennent voler « les chiens » qui sont « nés avec notre fils, qui les a soignés, qui les a dressés » mais aussi « les moutons, les poules. Ils lui ont tout fait ».

La mère de Franck assure que son fils a déposé plusieurs plaintes qui ont toutes été classées sans suite. Une information que nous n’avons pas pu vérifier. Pendant des mois, Franck B. et Mathias A. auraient ainsi ruminé un sentiment d’injustice, jusqu’à une soirée alcoolisée, le 20 février 2024, lors de laquelle ils auraient décidé d’une première expédition punitive. À la tombée de la nuit, ils se seraient glissés à proximité d’une aire d’accueil des gens du voyage, sur une commune voisine, et auraient tiré tous les deux au hasard sur les caravanes présentes. Des habitants du camp montrent les impacts de balle. L’un d’eux affirme même qu’une balle a manqué d’atteindre son frère de 13 ans à la tête. « Ils cherchaient à faire des meurtres », accuse un jeune homme.

TF1

Le lendemain, Franck avoue les faits à l’un  de ses amis chasseurs. Ce dernier, joint par téléphone, prend pourtant la défense du trentenaire. « Je l’ai engueulé. Je lui ai dit : ‘Vous êtes cons, vous vous rendez-compte que les balles que vous tirez, ça traverse’. Il m’a dit : ‘Oui, c’est vrai, on a eu du pot, il n’y a pas eu de blessés et tout’. Mais il n’en était pas fier », raconte-t-il. L’homme n’est jamais allé voir les forces de l’ordre, estimant que l’affaire ne le « concerne pas ». « C’est toujours pareil, vous avez des gens qui s’embêtent à travailler, qui se font casser des maisons pendant que ces gens-là ‘branlent’ rien à côté et vivent de vols », évoque-t-il allant même jusqu’à assurer que « tout le monde se fout des coups de fusil contre les caravanes. Tout le monde ».

Omerta dans la vallée

Au lendemain de la fusillade, les gens du voyage quittent l’aire d’accueil. Satisfaits du résultat, deux jours plus tard, les complices auraient décidé de récidiver. Mais cette fois, l’issue est fatale pour Angela Rostas. Un acte irrationnel, selon l’avocate de Mathias A. qui affirme que son client a visé la bombonne de gaz sans réfléchir, sans même savoir si quelqu’un se trouvait à l’intérieur du mobil-home. « Il n’est pas venu dans l’intention de tuer », assure le conseil. Des affirmations que les analyses balistiques et la reconstitution devront confirmer ou non, en déterminant notamment si Angela Rostas a été victime d’un tir direct et si Mathias A. pouvait ou non l’apercevoir dans la lunette de son fusil.

À ce stade, les deux suspects, incarcérés, ont été mis en examen pour « meurtre et tentative de meurtre aggravé par le mobile raciste ». « Il ne ressort pas des investigations que les mis en examen avaient des difficultés personnelles avec les personnes visées par les tirs. Le seul point commun entre les faits du 20 et les faits du 24 [février 2024 NDLR], sur deux groupes qui sont différents, qui ne se connaissent pas, c’est bien cette appartenance à ce groupe ethnique », détaille Line Bonnet-Mathis, procureur de la République d’Annecy.

Une circonstance aggravante qui fait encourir aux deux complices la réclusion criminelle à perpétuité. Mais l’avocat de Franck B. conteste le motif raciste du crime et souligne, lui, la dérive de jeunes hommes imbibés de stéréotypes largement répandus autour d’eux. « Ils n’ont aucune culture pour se dire que c’est une ethnie ou c’est une race. C’est la justice qui vient dire ça », défend-il. Un climat délétère qui explique peut-être l’omerta autour de ces crimes dans la vallée. L’enquête a établi que les deux suspects avaient avoué leur implication dans la mort d’Angela Rostas à une quinzaine de personnes de leur entourage. Aucune ne les a dénoncés. 

Depuis la mort de sa femme, Tarzan Rostas, lui, vit dans sa voiture sur un parking proche de la frontière suisse. Il doit rester ici pour répondre aux convocations de la justice, mais dit vivre dans la peur, tout comme ses filles, réfugiées provisoirement en Roumanie. « On a peur de revenir en France, ils vont peut-être nous tuer, nous aussi », s’inquiète l’une d’elles par téléphone, suppliant son père de les rejoindre et assurant qu’une de ses sœurs fait « des cauchemars toutes les nuits. Elle voit maman pleine de sang ». Mathias A. et Franck B. doivent être entendus début octobre par la justice.


La rédaction de TF1info | Reportage : Sept à Huit

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